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Le blues se porte en étendard ; la guitare en bandoulière.

Simone Montès nous donne à voir des personnages sortis de l'univers puissant d'un Munch ou d'un Jan Toorop cachés derrière les masques de la commedia dell'arte. L'artiste scrute, sculpte à la pointe sèche cet humain trop humain afin que se dressent des corps sublimes d'hommes oiseaux, des gueules ouvertes, de Rois voraces, des hommes bukowskiens qui ont mal jusque dans leur verre. On griffe, on mord, on gratte, on cisèle, on créée.

La noirceur est éclairante sous la main de madame Montès: elle se fait conteuse d' histoires mêlant des êtres pétris de solitude, des militants et des boat peoples.

Entretien à l'occasion de son exposition au Mouton à 5 Pattes, du 7 juin au 2 juillet 2016.

La gravure est un art du multiple; qu'est-ce qui vous a attirée dans cette pratique? Quand avez-vous fait le choix de cette technique si spécifique?

Je suis tombée dedans quand j'étais petite aux ateliers du musée de l'estampe de Gravelines. De six à treize ans, on bricolait au retour d'une demie heure de visite au musée. À partir de treize ans, je suis allée aux cours du soir de Xavier Hennicaux ; je faisais ce que je voulais et il me donnait des coups de pouce techniques. J'ai beaucoup appris comme ça, j'ai dû arrêter vers vingt-et-un ans, quand je suis partie vivre à Bruxelles.

Ensuite, j'ai fait une licence d'Arts à Lille III, en option gravure. Pendant deux ans j'ai travaillé quelques heures en tant que moniteur d'atelier, et comme il n'y avait jamais personne dans cette option, c'était comme si j'avais mon atelier à moi! Ensuite, j'ai fait un Master 2 Arts plastiques visuels et de l’espace à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles dans l’option Gravure. Là-bas , les moyens sont immenses, et les presses magnifiques, notamment une presse mammouth (1m 50 / 3m). Alors, je me suis mise à de plus grands formats. Il y avait aussi d'autres passionnés, j'ai beaucoup appris à les regarder faire, le soir, on attendait le dernier moment, quand le concierge venait fermer, et qu'il nous mettait gentiment dehors. En arrivant sur Nantes, je me suis inscrite à Rennes II, j'ai essayé les concours CAPES et agrégation mais j'ai laissé tomber, je n’avais plus assez de temps pour graver.

En dehors de toutes ces structures, je grave, je grave, je grave, sur du cuivre, sur du bois, du lino, sur tétra-pack, sur vinyles, sur conserves ! J'ai ma presse depuis juillet 2012, elle tourne bien!

Qu'est-ce qui vous pousse à créer? La série des hommes à la guitare ou la créature trônant au sommet d'une pile de livre nous laissent supposer que la musique et la littérature sont des sources d'inspiration. Est-ce le cas?

Oui, bien sûr, mes amis jouent de la musique et ma sœur est libraire. Je suis privilégiée avec les muses que j'ai.

Je me suis découvert une affection particulière pour le blues, la musique je ne saurais pas en parler, c'est de la magie pour moi. J'ai mes petites habitudes, j'écoute "Le front du lundi", "Bruits de tôles", "Décolonisons" et "Lu et approuvé" sur Canalsud.

Pour ce qui est des lectures, je dévore! Mon dernier coup de foudre, c'est Panaït Istrati, le conteur roumain. Avant lui, j'ai lu tout ce que je pouvais trouver sur Edward Abbey. Mes deux lectures favorites parlent de clown, Le sourire au pied de l'échelle de Henry Miller, que j'ai redécouvert récemment dans le bagage d'un ami, je l'avais lu il y a dix ans et aujourd'hui, c'est encore mieux. Et Histoire de Rofo le clown de Howard Butten. Alors, la musique, la littérature, et les clowns! Mon conjoint travaille au Chapidock à Nantes, dans une école de cirque, c'est peuplé d'hommes forts et de maladroits. Je déborde de matière
.

Que voulez-vous exprimer dans votre travail? Que recherchez-vous?

Je me raconte des histoires, ce sont des idées fixes ou juste un clin d’œil, une correspondance particulière, une réplique plus ou moins bien intentionnée. Toujours ça m'amuse et même ça me fait marrer. Je cherche à maîtriser un peu mieux la lumière pour happer vos regards. Ce que j'espère, c'est que l'image entraîne celui qui la regarde, quelque part, ailleurs. Que ça résonne un peu en lui et le must du must, c'est que ça l'inspire pour s'exprimer à son tour!

Comment démarre l'histoire d'une gravure? Qu'est-ce qui la nourrit?

Plein de choses, c'est une envie de travailler sur une technique, la matière, les accidents, avec très souvent une attention pour quelqu'un, une idée à partager ou une phrase entendue qui sonne particulièrement bien. Je reproduis des gestes qui m'ont plu, je vole un peu tous ceux que je croise. J'ai des tas de carnets, des croquis, des idées, des rêveries qui ont du potentiel à ne surtout pas oublier, c'est une annexe de ma mémoire, je les ai toujours sur moi.

L'une de mes sœurs m'a fait découvrir Kenneth White: dans un de ses livres il parle d'un "Carnet d'écoutes clandestines", après avoir lu ça, je me suis fait le mien!

Est-ce qu'une œuvre s'inscrit toujours dans un travail sériel?

Non, pas toujours. Mais quand on découvre une impression, et qu'on l’ausculte un peu, il y a toujours quelque chose à recommencer, à approfondir. Alors j'en refais une, et puis une autre, et encore et encore et encore.

L'ensemble de ce que vous exposez marque celui qui regarde par son côté sombre, grave. L'humain n'est pas lisse. La galerie de personnages interpelle celui qui regarde. Est-ce la figuration de ce que vous percevez de vos contemporains?

Cela doit être ça, ou c'est vous ou c'est moi. En tout cas, je ne veux pas être lisse, et ça m’ennuierait que vous le soyez: sans toutes vos adorables irrégularités, votre personnalité manquerai de contraste. Les oiseaux s'immiscent partout. Je les laisse faire parce que j'aime leur bec, il ressemble à un masque. Je vais me concentrer sur les nez maintenant. C'est un projet en cours.

Le noir et le blanc sont omniprésents au sein de cette exposition, or parallèlement vous avez amorcé un travail sur la couleur, visible sur votre blog. Est-ce un autre axe de recherche/réflexion ? Une façon différente de créer?

J'aime le papier et la profondeur de l'encre noire et grasse. La couleur, c'est une autre appréhension, j'apprends. Voilà des années que je me casse la tête sur les couleurs, je ne suis pas encore satisfaite, je cherche, ça ressemble à une improvisation. Depuis février j'ai essayé de copier la technique de quelqu'un, et j'ai du saisir un peu plus que d'habitude, assez pour que je m'accroche. Pour l'instant je me laisse faire, je ne contrôle pas. Le défi c'est de réussir à l'intégrer dans ma pratique de gravure.

Avez-vous d'autres projets d'expositions?

Pas encore. Je fais entendre ma voix dans dans Le Poulailler et après...

 

Propos recueillis par Karen Dupont

 

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