Etre fille et rester soi

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Il était une fois, à la Maison du Théâtre, Séverine Coulon qui a ravi nos oreilles et nos yeux en nous racontant Filles et soie et en nous livrant à sa façon Peau d'âne, Blanche-Neige et La Petite Sirène. En s'appuyant sur un album jeunesse intitulé Les Trois Contes écrit et illustré par Louise Duneton, Séverine Coulon nous fait entrer dans un univers magique et en même temps terriblement réel. Ces trois contes n'ont pas été choisis au hasard, bien évidemment : ils traitent tous les trois du même thème. Un thème pour le moins surprenant : comment s'accepter soi-même ? En une quarantaine de minutes, notre conteuse combat les clichés pour mieux se révéler au public.

 

Un dispositif original

Jeu d'ombre et de lumière dans le castelet

Tout aussi surprenant est le dispositif scénique. Imaginez une boîte constituée de quatre panneaux d'environ un mètre quarante de haut sur deux mètres de largeur entièrement recouverts de papier de soie au-dessus desquels Séverine Coulon laisse apparaître son visage, ses épaules et ses bras. À partir de là, tout est possible : peinture, théâtre d'ombres et théâtre d'objets. Ce castelet a la particularité de tourner sur lui-même. Dès que l'on change d'histoire, ce dispositif à la fois simple et ingénieux permet de tourner en quelque sorte la page et d'écrire sur une surface vierge ce que l'on désire. Projection mentale de notre conteuse. Face à ces parois de soie, enfants et adultes se retrouvent comme s'ils étaient au fond de la caverne : Séverine Coulon arrivera-t-elle à nous en faire sortir ? 

Des contes dont on découvre la véritable fin

Séverine Coulon n'a pas l'intention de raconter ce que tout le monde a entendu depuis sa plus tendre enfance. Mais à partir de cette matière universelle, elle nous surprend à tel point qu'à la fin du spectacle on se serait bien laissé bercer encore un peu par quelques contes supplémentaires. On aurait aimé voir arriver Cendrillon pour nous dire : « Restez, c'est à mon tour maintenant ! ».

Mais reprenons plutôt : Séverine Coulon se glisse dans la peau d'Anne, une jeune fille qui se trouve "bête et moche" dans sa peau d'âne mais qui espère cacher sous son apparence une princesse "sans poil et sans bouton". Pour vaincre son mal-être, Anne se raconte des histoires et s'imagine dans le corps des autres. C'est ainsi que Blanche-Neige naît sous nos yeux en jaillissant du papier de soie. Frêle silhouette de fil de fer entourée d'un halo de lumière, Blanche-Neige grandit et devient femme. Ce qui amuse Anne, c'est d'imaginer la suite que Charles Perrault n'a pas écrite… Que devient Blanche-Neige lorsqu'elle vieillit ? Est-elle, ô beau miroir, toujours la plus belle ? Pour elle aussi, le temps passe et sa beauté se fane. Finalement, est-ce que sa beauté l'a rendue plus heureuse ?

Anne réapparaît. Le castelet a tourné. Sur le papier de soie se trouvent dessinés des vêtements : jupes et pantalons dans lesquels notre héroïne a bien du mal à rentrer malgré tous ses efforts. Un beau jeu de lumières permet à Anne de paraître tantôt mince, tantôt ronde. Pour elle, si on veut plaire, si on veut créer le désir, il faut être mince. Mais toutes les filles finissent par se ressembler. Que faire si on est différente ?

Parfait amour entre un Prince et une sirène devenue femme

C'est alors qu'entre en scène la petite Sirène qui sauve de la noyade un Prince, dont elle tombe amoureuse. Elle fait tout pour lui plaire et décide de se métamorphoser en femme – seule condition, se dit-elle, pour être aimée de lui éternellement. Imaginez par quoi elle doit passer pour devenir ce qu'elle croit être un idéal de beauté ! C'est une vraie torture pour se débarrasser de ses écailles ! Pas une seconde, elle ne pense que le Prince peut l'aimer comme elle est… Un pan du castelet se relève alors pour laisser apparaître une paire de jambe. Belle trouvaille : chacun des pieds est chaussé différemment. Le pied droit porte une basket princière. Quant au pied gauche, il revêt un escarpin rouge vif sur une jambe parée d'un bas de soie, le summum de la féminité. Tous deux forment un couple uni et heureux. Mais cela pour peu de temps, malheureusement, car elle découvre que ce qu'il aimait en elle, c'était la sirène. D'ailleurs, le voilà parti avec une autre. Que n'avait-elle découvert plus tôt que ce qui faisait son charme, c'étaient ses écailles ?

L'art comme thérapie

Faut-il forcément être beau pour être heureux ? Faut-il forcément être autre pour plaire ? Ne peut-on pas simplement rester soi-même malgré la pression de la société ? En somme, n'y a-t-il que les apparences qui comptent ? Ce sont ces clichés contre lesquels Séverine Coulon essaie de mettre en garde notre jeune public, filles comme garçons. Il n'est alors plus question de Peau d'âne, de Blanche-Neige ou de la petite Sirène, mais d'elle-même, de son expérience, de sa vie. Sortant de son castelet qui, jusqu'à présent, a caché son corps, Séverine Coulon se montre telle qu'elle est. Refusant les diktats de la mode, elle a choisi de rester elle-même et c'est pour elle la seule façon d'être heureuse. Notre conteuse réussit à s'extraire de la caverne, nous entraînant dans son sillage. A nous parents et grands-parents de rester vigilants pour prévenir une rechute dans cette caverne...


Crédits photographiques : Jean Henry

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