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Gabrielle Pichon est comédienne associée à la compagnie de théâtre impro infini. Elle est également actrice pour la websérie Et caetero. Elle signe aujourd'hui la pièce Poiscaille, et créé sa propre compagnie Le courant d'air.

Gabrielle Pichon, que signifie pour vous "mettre en scène" ?

Révéler ce qui est déjà présent ou sous-jacent, à partir d'un texte, à partir de propositions des comédiens. Faire des choix, savoir trancher. Remettre en question l'essence de son projet.

Vous créez actuellement votre compagnie, Le courant d'air. Est-elle déjà marquée par une ligne artistique?

Elle est en construction. J'ai écrit un spectacle, Poiscaille, pour lequel j'avais besoin d'une structure juridique. De là est née la compagnie.

Pourquoi Le courant d'air?

Ma mère m'appelle comme ça parce que je suis tout le temps de passage. Le courant d'air... parce que c'est un phénomène qui peut être agréable lorsqu'il fait chaud, mais aussi très désagréable, à vous faire hérisser le poil... le côté douche froide. Et enfin, le courant d'air parce que je suis attachée à la ville de Brest, qui est une ville de courants d'air.

Dans Poiscaille, qui parle?

C'est une question piège. C'est une personne. Il y a trois interprètes mais c'est une personne. Chaque interprète s'exprime mais dans ma volonté d'écriture, c'est une jeune femme de 30 ans.

Les spectateurs n'ont pas nécessairement cette lecture-là. Le personnage est féminin... enfin, quoique...

Est-ce que c'est vous, cette femme?

L'écriture s'appuie sur plusieurs entretiens avec des femmes et notamment les interprètes. Il y a beaucoup de moi dans ce spectacle, c'est évident, mais pas uniquement. Suite à la présentation de la pièce au public samedi, de nombreux retours des personnes qui me connaissent indiquaient qu'ils m'avaient reconnue.

La thématique centrale du corps était-elle présente dès l'origine ou est-ce que ce sont ces entretiens qui l'ont révélée?

Ma première question était « qu'est-ce qui fait que je me sens femme dans un corps de femme? Qu'est-ce qui fait qu'un homme se sent homme dans un corps d'homme? » Je me suis rapprochée d'associations brestoises, notamment LGBTH et dans les discussions que j'ai pu avoir, la question de l'homosexualité revenait souvent. C'est un sujet qui m'intéresse, mais pas dans le cadre de ce spectacle-là. Je me suis rendue compte que je voulais parler de la relation que l'on a soi avec son corps, au-delà de la question de l'identité de genre et du type de corps. J'ai aussi réalisé qu'il fallait que j'arrête de "tourner autour du pot" et que je parle de mon rapport à mon propre corps, de son histoire.

Le titre Poiscaille évoque quelque chose de plutôt péjoratif...

Il y a un phénomène dont j'ai eu connaissance assez récemment qui est que les poissons peuvent changer de sexe, selon leur environnement, selon leur âge, la température de l'eau... l'idée m'a intriguée. Dans ce que je décris du corps, il y a aussi cette question. Et puis dans la manière dont je parle du corps, il y a quelque chose de "poisson", l'idée d'aller au-delà de la surface de la peau et de son côté lisse, d'aller dans les entrailles, les abats, dans ce que l'on considère habituellement comme dégueulasse. Et le mot « poiscaille » est arrivé. Et puis je le trouve joli, je le trouve drôle... il évoque les odeurs corporelles, les liquides corporels...

Le spectacle dure actuellement 30 minutes et j'aimerais le poursuivre ; il y a différentes pistes, la maternité en est une.

Y a t-il des auteurs qui ont influencé votre écriture et votre processus de création?

Quand j'étais ado, j'ai été très marquée par Les monologues du vagin. Plus tard, j'ai travaillé avec Marine Bachelot. Assez jeune, j'ai eu accès à des pièces et à des textes qui abordaient la question de la sexualité et du corps et je me rendais compte que cela restait un sujet tabou.

Jessica Roumeur, dans Poiscaille.

Jessica Roumeur et Gabrielle Pichon, répétition de Poiscaille au Quartz

Pourquoi parler autant du corps de la femme et non de sa part d'intellect?

C'est un bilan à travers le corps qui vit, qui change et qui révèle la fin d'une époque et/ou le début d'une autre. Le corps réagit après coup et c'est donc la cartographie du corps à partir de son histoire. Mais il me semble important de dire que cette pièce ne concerne pas uniquement les femmes. Nombre de propos pourraient, je pense, concerner un homme. D'ailleurs... si je continue à écrire... qui sait, il y aura peut-être un passage sur la prostate ! Mais pour moi, ce qui est devenu important, c'est bien de parler du corps au-delà du genre.

Quel est le rôle de l'homme dans ce spectacle?

Ce n'est pas un homme. Les trois interprètes sont la même personne. Quelque part il est un corps qui vit... c'est un corps mais pas nécessairement sexué. Il danse, il est en mouvement.

Quelle était la nécessité d'un danseur dans ce projet?

J'étais moi-même en formation danse avec le jeune ballet du Finistère (dirigé par Armelle Soulier) et j'avais envie de tester cette dimension dans ma mise en scène.

Quel type de diffusion envisagez-vous pour ce spectacle?

J'aimerais qu'il puisse être vu par des lycéens, notamment. Mais aussi par des publics vieillissants qui sont confrontés à des problématiques de corps différentes. Le spectacle se conclut quand même sur une note plutôt positive d'acceptation de son corps. Si ce spectacle est joué auprès de jeunes et de moins jeunes, j'aimerais l'accompagner d'ateliers d'écriture. Il y a tout un passage de la pièce au sein duquel les organes s'expriment. Et je trouverais intéressant de proposer cet exercice à différents types de publics.

En quoi votre travail avec Impro infini et donc la pratique d'improvisation a changé votre manière de faire du théâtre?

L'improvisation est une pratique beaucoup plus riche qu'on ne le pense. Le terme en lui-même peut être compris de plusieurs manières. C'est un travail sur plateau qui met en danger, qui implique la remise en cause. Cela peut être extraordinaire comme ne pas fonctionner.

Est-ce qu'il y a des codes liés à l'improvisation?

Oui, mais les codes évoluent.

Il y a différentes écoles, il y a également de la littérature sur l'improvisation... Il y a une grande liberté, mais un improvisateur sur le plateau ne fait pas n'importe quoi. La notion d'écoute est importante En montant sur scène on est auteur-metteur en scène et interprète, mais on n’est pas tout seul et chacun a ce statut. La fragilité de l'improvisateur est belle et je me suis appuyée sur cette fragilité pour mettre en scène Poiscaille en faisant travailler les actrices à partir de l'improvisation.

Que pensez-vous du fait que pour exister ou pour se faire entendre, les femmes doivent parfois avoir recours à leur corps, le montrer?

En réfléchissant à l'écriture de Poiscaille et avec le regard extérieur d'un universitaire sur mon travail, je me suis rendue compte que je parle du corps comme d'un objet. Dans l'histoire de Poiscaille, le corps a été un objet que je décide de me réapproprier pour exister. À partir du moment où l'on fait du corps un objet, on peut aussi décider que c'en est un et le montrer, en faire un symbole, un étendard. Après, bien sûr, cela peut être discutable. Les Femen utilisent un corps très esthétique qui a priori s'appuie sur des castings. J'aimerais que des femmes rondes non épilées puissent se mettre à nu pour revendiquer des choses.

Gabrielle Pichon, répétition de Poiscaille au Quartz

Crédit photos : Julie Lefèvre

About the Author

Rédactrice et photographe. Enfant, elle a des correspondants un peu partout. Elle écrit des lettres à longueur de journée (même en classe), les envoie parfois - pas toujours. Plus tard, elle est diplômée de sciences-po Bordeaux et d'un MASTER en management du spectacle vivant.

 

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