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Chronique pour Ravie de Sandrine Roche, à la Maison du Théâtre de Brest du 13 au 15 novembre.

Avez-vous déjà été surpris, au lever du rideau, par une rafale de percussions tonitruantes? Cela vous fixe sur votre fauteuil. Cela vous apeure pour un temps, comme le tonnerre dans la montagne! Après ce déluge, une voix se fait entendre, distille des bribes de phrases comme autant de dernières gouttes de pluie annonçant l’embellie. Ce rayon de soleil, c’est Blanquette, qui arrive dans la vie de Seguin! Un Seguin attendri par la blancheur de sa nouvelle chevrette. Ah, mais ne vous attendez pas à voir un spectacle animalier! Même si la comédienne Conchita Paz semble avoir intégré dans son corps joliment élastique les attitudes méfiantes des caprins… Nous assistons tout d’abord à l’apprivoisement de Blanquette par son nouveau maître. Il promet à sa chèvre nourriture abondante et de qualité, soins et attentions. Mais il y a une condition à cela : accepter l’entrave d’une longe et la prison d’un périmètre de promenade. Voilà posée la base du conte écrit par Sandrine Roche, librement adapté de La Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet. Blanquette semble d’abord se satisfaire de sa situation. Mais bien vite, à la nuit tombée, un chœur de chèvres décédées, anciennes compagnes laitières de Seguin ayant succombé à l’appel de la montagne, vient semer la zizanie dans sa tête : que vaut autant de confort quand l’aventure et la liberté sont à portée de pa-patte? Comment renoncer à une herbe verte et bien grasse, où gambadent les cousins bouquetins si sauvagement majestueux?

Métaphore de nos vies bien rangées, entre métro (étable-champ), boulot (brouter-produire du lait) et dodo (champ-étable), Ravie nous invite à réveiller ce qui sommeille au plus profond de nous, une onde de liberté jusqu’alors coincée dans le carcan de nos peurs. Saluons au passage monsieur le Loup, qui endosse depuis tant de temps le rôle du méchant animal qui fout la frousse. Entre s’assurer une fonction et une position stables, rassurantes et bien identifiées par la société (de produire du lait à produire de l’argent, il n’y a qu’un pas) et s’émanciper des attentes qui pèsent sur nous pour vivre ce que nous sommes, sans avoir à justifier de nos existences, que et comment choisir? Est-ce aussi simple?

Cette Blanquette, au fond, se laisse-t-elle convaincre par un gang de folles barbiches autrefois en mal d’aventure, ou ressent-elle vraiment l’appel de la montagne? Bof, après tout, est-ce si important? Car dans la vie, peu importent les raisons qui nous poussent à l’action : n’est-ce pas l’action elle-même qui compte, n’est-ce pas elle qui crée le changement? Si nos semblables peuvent nous y pousser, alors je dis banco! Mais au fait : pourquoi faudrait-il vouloir prendre le risque de changer de vie, pourquoi faudrait-il vouloir se mettre en danger? Pour vivre mieux avec soi-même? Pour mieux apprécier la compagnie des autres? Pour vivre avec son temps? Pour vivre, tout-court? Blanquette-Conchita refuse la conformité avec les autres caprins de son acabit : elle découvre la part sauvage qui sommeille en elle, la revendique et la célèbre en une ode à la Terre dansée, très organique. Rester chez Seguin, ce serait perdre ce contact avec cette vérité intérieure, cette part héréditaire non contrôlable. Pourtant, quand après l’euphorie de la libération vient la prise de conscience de la réalité, celle de la menace du Loup… Blanquette est à la fois fascinée par cette bête mythique (oui-oui, chez les chèvres aussi), prête à la braver et à la fois très apeurée de perdre la vie. Moi, je l’ai trouvée très courageuse, cette chèvre. Le courage, n’est-ce pas oser affronter ses peurs? Que le spectateur se rassure, rien n’oblige à se jeter dans la gueule du loup, tout de même! Il est tout à fait possible de prendre des risques mesurés, pour éviter de se mettre en danger de manière trop importante. Mais une chose est sûre : à chaque prise de risque, autant d’apprentissages fondateurs et nourriciers, autant d’étapes vers une meilleure connaissance de soi!

Vous aurez compris que le questionnement posé par Ravie me séduit. Même si une heure trente de spectacle ne permet pas de développer vraiment le sujet, il en pose au moins une base. Je n’ai pas vraiment gravi une montagne avec Blanquette ce matin, mais plutôt une colline. Libre à chacun de poursuivre la réflexion. Le texte de Sandrine Roche est un texte qui invite au jeu du corps et des sons plus qu’à l’analyse. Il est rythmé, ciselé, tour à tour percutant, ronflant, galopant. Les percussions très travaillées et précises de Gaël Desbois lui collent à la peau, l’ambiancent, l’enveloppent. Quelques silences supplémentaires auraient toutefois été les bienvenus. Je ne suis malheureusement pas aussi réjouie par le décor et l’accessoirisation, dont j’ai souvent douté de l’intérêt et de l’esthétique. S’il a permis aux comédiens d’exprimer dans leur corps les émotions nées du texte (la force déployée pour soulever ces lourds tapis, l’équilibre sautillant conféré par l’emploi de talons fixés à même le pied, les cordes qui soumettent les corps), j’ai peiné à lui trouver un autre dessein. Il m’a même parfois semblé plus perturbateur que serviteur, comme ce rideau de velours cramoisi si lourd à mouvoir ou ce petit pull blanc troublant dans son jeu François-Noël Bing, pourtant très investi. Ce décor dont la plastique évolue au fil du spectacle accompagne tout de même la prise de risque de Blanquette, lui crée un paysage chaotique, accidenté, neuf, étrange, symbole de cet environnement montagnard plein de nouveaux repères.

J’ai apprécié, sans en comprendre vraiment la signification, l’alternance de la prise en charge des rôles par les deux comédiens. Certainement déjà, pour la performance de leurs jeux. Pour le plaisir de reconnaître chaque personnage malgré deux identités corporelles différentes. Quelles énergies et quels engagements, avec une montée en puissance de Conchita Paz au fur et à mesure de l’émancipation de Blanquette! Au final, si je salue les prestations, la qualité du texte et la portée du message, je regrette cette sensation de n’avoir qu’effleuré le sujet promis et de m’être sentie perdue dans ce décor peut-être trop abstrait pour ma rétine à qui plaisent, tout comme à Blanquette, les charmes réalistes de la Nature.

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