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Rencontrer Stéfan Tulépo, c’est entrer dans un monde qui nous laisse songeurs, c’est se laisser porter par des histoires, des fables, des légendes. En une heure, il m’en raconte des histoires, et je l’écoute. Nous tournons les pages d’un livre qui témoigne de ses pérégrinations à travers ce qu’il nomme « la banalité ». Il définit la banalité comme un lieu commun, accessible à tous mais souvent oublié du regard dans nos déplacements quotidiens (urbanisme de série, espace désaffecté, ou encore espace naturel). Ces endroits dont l’exploration constitue l’essence de son travail, Stéfan Tulépo les approche de manière subjective et sensible, s’attachant davantage à l’esthétique qu’à la sociologie, même si la question du territoire et de son identité s’exprime par petites touches, avec subtilité, sous la forme de gravures, d’installations, de sculptures. Ce jeune homme dont la pratique artistique croise différentes disciplines, se présente néanmoins comme sculpteur.

Ne fracturant jamais de porte, il vogue, il erre, il cueille, il collecte. Et c’est autour de ces errances que s’organise la résidence de trois mois dont il bénéficie au Centre d’Art Contemporain Passerelle, dans le cadre des chantiers, programme d’accompagnement de jeunes artistes, en collaboration avec Documents d’artistes en Bretagne.

Au volant de son Jumpy, il traverse le territoire et s’arrête dès lors qu’il aperçoit un signe, une fenêtre brisée, une esquisse d’ordinaire, une ébauche de lieu en latence. Il appréhende alors l’espace de l’extérieur, en fait le tour, plusieurs fois, puis choisit de s’y engouffrer, ou non. À l’appui de traces, d’indices, Stéfan Tulépo imagine. Avec pour matériel, un sac à dos et un appareil photo, ce qu’il va y trouver pourra nourrir une installation in situ, une sculpture ramenée à l’atelier, une série de photographies… De temps à autres, il reviendra dans certains lieux, à différentes reprises avant d’entamer une interaction concrète. Stéfan envisage ces endroits, comme il envisage la sculpture, en fonction de ce qu’ils offrent, de la matière dont ils sont constitués, qui permet ou non, ou à différents degrés, son intervention, jouant ainsi avec la distinction entre ingérence humaine et action naturelle et laissant parfois subsister l’ambiguité. Lorsqu’un matériau ne permet pas de dessin, il imitera une forme ou se suffira à lui-même et la transformation sera alors minimaliste.

Des réalisations in-situ, cet artiste, conserve toujours une photographie ou un film qui pourront être réutilisés sous différentes formes et dans des contextes variés. L’installation qui se caractérise par sa dimension éphémère continue alors d’exister au fil des travaux, et se renouvelle, s’adaptant à des formes et à des utilisations diverses.

Je découvre un « collectionneur » et je m’interroge sur sa pratique, cette habitude qu’il a prise, de récolter et de ramener quantité d’objets brisés, de pièces détachées. Il me raconte alors une nouvelle histoire. Cette pratique, ancrée dès l’enfance (il aura collectionné des figurines de Tintin, des cailloux, des billes, des éléments glanés de la plage…), s’est installée au travers d’habitudes familiales de ramassage, de cueillette de fruits ou légumes, de champignons… de nombreuses ballades dont il ne s’agissait pas de revenir bredouille, quand bien même ce que l’on en ramenait n’était pas l’objet premier de la recherche. Je comprends alors que son travail est en fait une manière de vivre et que Stéfan Tulépo ne quitte quasiment jamais son sac et son appareil photo. Et s’il interrompt parfois la sculpture de matériau, il ne se détache jamais complètement de l’action, quitte à sculpter le beurre sur la table du petit déjeuner.

Ce jeune artiste, diplômé des Beaux-Arts d’Angers, est un poète qui joue avec l’empreinte du temps, avec le passage de l’homme dans le territoire, avec simplicité et parfois avec humour. Et ne comprenez pas dans le terme « simplicité » une absence de complexité ou de réflexion dans sa démarche artistique… mais il en parle simplement, avec ses mots et sa collection d’images.

Sa résidence au Centre d’Art Passerelle donnera lieu à une restitution le 5 juin 2014. À la question du devoir de produire, Stéfan répond qu’il ne l’envisage pas comme un devoir mais qu’il était inconcevable de ne pas mettre en confrontation son travail avec l’espace qu’est le Centre d’Art, la restitution s’adaptant à la fois au contenu et au contenant, les oeuvres et le lieu, et que par ailleurs, la rencontre du public est une dimension que l’on aurait tort de nier dans l’existence de l’art.

Vous pouvez rencontrer Stéfan Tulépo aujourd’hui, samedi 17 mai 2014, dans le cadre de la Nuit Européenne des Musées. Il ouvrira son atelier au public de 14h30 à 23h.

Le 5 juin 2014, il restituera son travail « dans mon Jumpy », de 18h à 21h.

Un aperçu de son travail ici

Découvrir le Centre d’Art Contemporain Passerelle

Documents d’Artistes Bretagne édite en ligne des dossiers réalisés avec des artistes visuels vivant en Bretagne. Ces dossiers sont diffusés dans le réseau professionnel de l’art contemporain et rendus accessibles à tous grâce à internet.

La Nuit Européenne des Musées

About the Author

Rédactrice et photographe. Enfant, elle a des correspondants un peu partout. Elle écrit des lettres à longueur de journée (même en classe), les envoie parfois - pas toujours. Plus tard, elle est diplômée de sciences-po Bordeaux et d'un MASTER en management du spectacle vivant.

 

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