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Un atelier d'écriture au Groupe d'Entraide Mutuelle "Au Petit Grain", animé par Vincent Cabioch, donne lieu à la publication d'une nouvelle, co-écrite par les participants, Une Étoile et un singe échappés du zoo. Une aventure humaine avant tout, littéraire et profonde, gouvernée par le principe du plaisir, et qui montre qu'un "je" est bien souvent d'abord avec "nous" - ou comment écrire un texte collectif qui reflète cette humanité qui nous habite tous (ou presque). 

 

Entretien réalisé avec Vincent Cabioch et deux participants, Thierry Nezet et François Berthouloux à l'occasion de la publication de la nouvelle.

 

Comment s’est déroulé l’atelier qui a donné lieu à cette publication ?

Vincent : C’est la première fois que j’anime un atelier de ce type. J’ai été sollicité par une amie qui travaille au Groupe d’Entraide Mutuelle de Brest "Au Petit Grain", l'une des deux associations de la ville qui accueillent en résidence ouverte, dans une maison, des gens en difficulté de vie, souvent liées à des problèmes psychologiques. Les personnes qui viennent au GEM suivent généralement en parallèle des traitements de longs cycles. Dans ce lieu de vie, ils participent librement aux nombreuses activités – sorties, rencontres, repas, ateliers d’écriture – qui leur sont proposées. L’atelier d’écriture était alors animé par l’un des usagers, et on m’a proposé d’en animer un second, les samedis matins tous les quinze jours pendant deux heures. C’est un atelier très ouvert, chacun vient comme il veut. Petit à petit, d'un groupe à géométrie variable, un noyau dur s’est construit.

Thierry : Le GEM existe depuis 10 ans et l’atelier a été lancé dans ce cadre. Pour ma part, cela fait un peu plus d’un an que j’ai rejoint le groupe. Le but de l’atelier n’était pas forcément de publier un livre. C’est d’abord un travail, un exercice pour se libérer en écrivant. Chacun de nous a sa façon de le faire. Claudine, par exemple, a l’habitude de n’écrire qu’une seule phrase, mais ce n’est pas grave, les gens sont acceptés comme ils sont.

François : Tout a commencé par des séances de théâtre le samedi matin, que les gens ont voulu continuer. Il y a eu un projet sur trois ou quatre séances d’écriture, puis Maïwenn a trouvé Vincent pour animer l’atelier.

Le GEM est donc ouvert en autogestion le samedi. Maïwenn a fait une demande pour des subventions auprès du Conseil Départemental et obtenu 2500 euros sur un projet précis. C’est ainsi que nous avons bénéficié de l’intervention de Vincent et pu concevoir la publication du recueil.

La publication n’était donc pas prévue dès le début ?

Vincent : Dès le début, nous souhaitions ne pas exclure l'idée de matérialiser quelque chose et j’ai construit l’atelier dans cette optique. Nous étions guidés par l’idée d’un résultat final, un texte rassemblant tous les autres, pas nécessairement l'objet d'une publication, mais nous y avons rapidement pensé car certains participants avaient déjà fait des textes à compte d’auteur, et l'idée d'imprimer séduisait tout le monde, pour partager l'expérience.

François : Oui, Thierry, qui fait du slam, a proposé l’idée.

Thierry : Au début, on voulait faire un spectacle, puis l’idée de la publication est venue. Nous avons aussi fait un spectacle – très intéressant : on était derrière une toile, on ne nous voyait pas, à l’exception de nos pieds et de nos ombres. Nous avons lu, chacun notre tour, des extraits de notre livre.

Dans quel cadre a eu lieu cette lecture ?

Vincent : A l'occasion de la soirée « Machin-Machine » au Mac Orlan, puis, quelques mois plus tard, du festival « Les identités remarquables ». Nous étions alors déjà à la fin du processus, le texte était finalisé.

François : C’était très dynamique, avec des rires, des exclamations. On était six ou sept à participer, il y avait donc des voix différentes.

Thierry : Vincent nous disait que ça devait être une performance.

François : Du coup, ce n’était pas trop huilé, et on savait que ce n’était pas grave s’il y a des fautes, il fallait que ce soit spontané, direct. Il fallait qu’on donne l’impression qu’on était en répétition. Au début, on discutait entre nous, les micros étaient branchés, puis on commençait la lecture.

La dynamique de cet atelier a-t-elle donc été différente d’un atelier plus classique ?

Thierry : Ce qui est bien avec cette nouvelle, c’est qu’on est partis chacun sur une idée, qu’on a développée en écrivant. À force d’écrire, on s’est rendu compte qu’il y avait des personnages qui revenaient, John, Marylin. J’appellerais ça un patchwork d’écriture.

François : Ce qui est surprenant, c’est que malgré la cohérence finale, chacun retrouve ce qu’il a écrit.

Vincent : Ce qui nous a guidé, c’est le plaisir. Avec ce public, comme nous l'avons dit, il pouvait être envisagé d’avoir un résultat final rassemblant tout ce que les différents ateliers avaient produit, mais il fallait pour cela passer par différentes étapes. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi une démarche d’écriture complètement libre, avec des consignes et des contraintes toujours simples, très légères. En laissant la place au plaisir et à la spontanéité, je me disais qu’il serait forcément possible de composer quelque chose de cohérent.

Pour ma part, il y a une dizaine d'années, j’avais réalisé une création musicale selon cette méthode, dont le titre donne un peu le ton, "Le principe de moindre action" : je crois aux possibilités des processus s'appuyant sur l’accumulation de matière, puis au choix et à la sélection dans ce matériau librement accumulé où finalement des cohérences, des conjonctions impromptues viennent d’elles-mêmes, prennent et donnent un sens de façon surprenante. L'on peut toujours extraire, je crois, quelque chose de singulier du fouillis, d'un magma apparemment incohérent, d'accumulation brute de diversités, comme un sculpteur le ferait d'un morceau de bois en suivant le dessin des veines révélées progressivement par les coups du ciseau.

Thierry : Concernant le plaisir, j’ajoute aussi qu’on en est venus à un texte érotique, mais certains ont été loin et on s’est auto-censurés. Il faut avoir les épaules assez larges pour porter ça.

François : Les textes érotiques ont été écrits autant par les hommes que par les femmes. À la fin de l’atelier, on lisait ça dans le jardin, les voisins devaient se demander ce qu’on faisait ! Et j’insiste sur le plaisir qu’on a à fréquenter cet atelier, car souvent, on fait la fête le vendredi soir et pourtant, on trouve l’énergie de venir le samedi matin. C’est vraiment convivial et ludique.

Thierry : On a également fait des sorties, sur la place de la liberté, sur le pont de Recouvrance, et on a écrit juste comme ça, en dehors du projet.

François : On a également vu une exposition de photos à l’espace Léo Ferré : on a choisi une photo et écrit ce qu’elle nous inspirait.

Comment avez-vous vécu la diversité du groupe ?

Vincent : Dans un groupe qui écrit, chacun a un manque de confiance en lui plus ou moins exprimé, de connaissances préalables, d'expérience dans l'écriture. J'ai donc proposé que l'on aborde, pour notre premier atelier, l'exercice du monologue intérieur, l’instant présent posé sans contrainte sur une feuille de papier, en suivant le fil de ses idées comme elles viennent. Il s’agissait de noter tout ce qui passait à l'esprit, de pratiquer l’écriture automatique durant une vingtaine de minutes, puis d’échanger son texte avec quelqu’un et de lire à haute voix l'ensemble des propositions sans discontinuer. Une histoire s’est immédiatement racontée là, partagée par tous, avec ces sept textes lus de façon aléatoire et continue, et l'on a vu que des choses ressortaient déjà, un ton, des décors, des personnages, des lignes directrices...

Le personnage de M. ou la ville de Brest sont ressortis dans la continuité, petit à petit, dans les tout premiers ateliers. Puis le récit s’est écrit en travaillant ensuite différents thèmes comme celui, par exemple, du discours politique ou comme les mots du groupe « Les Mots de la tribu » [collectif constitué après les attentats de janvier 2015 à l’initiative de l’UFR de Lettres et Sciences Humaines de l’UBO pour réfléchir sur les mots clés de notre époque, ndlr.]. Avec ce début d’histoire, les textes écrits chaque samedi étaient dès lors directement ou indirectement liés à cette première séance, ils en étaient l'écho, de façon plus ou moins consciente.

Ainsi, les phrases courtes qui ponctuent le texte final, la nouvelle, sont celles d'une participante qui écrivait très peu, et qui les écrivait à chaque fois, avec de légères variations. Sa phrase a été utilisée comme leitmotiv, et c’est d’elle que l’image du pont et du quartier de Recouvrance ont pris de l’importance.

Thierry : Plusieurs personnes ont proposé des idées de textes. Pour la nouvelle, plusieurs idées différentes qui se sont donc imbriquées.

François : Cela a produit une importante masse d’écriture, que Vincent a mise en forme. Il a trouvé des liens entre les textes, il a fait des coupes.

Qui est M. ?

Vincent : L’un des participants n’écrivait quasiment que des dialogues. Un samedi, à partir du texte délirant d’un fan de Marylin, le dialoguiste a imaginé un échange entre Marilyn et John. Puis on a décidé de ne garder, pour le texte final, que l’initiale M., pour plus d’abstraction, d'interprétations possibles à la lecture.

C’est une nouvelle qui parle de la manière d’habiter Brest ?

Thierry : Je défends ma ville, son histoire, ses lieux historiques, le pont, le port. Dans la nouvelle, on parle du tram, du téléphérique, des dynamiques de la ville.

Vincent : Notre texte originel, avec ce leitmotiv pilier démultiplié en deux ou trois lignes, est celui qui parle du pont de Recouvrance. Dans le groupe, nous sommes amoureux de Brest… comme toutes les Brestoises et Brestois évidemment ! La nouvelle est donc très ancrée, elle comporte par exemple des idées liées à l'actu ou à la politique locale concomitante aux ateliers, sur le téléphérique par exemple. Elle est aussi une expression collective, une synthèse : tout le monde s’approprie la globalité, tous les participants se retrouvent, je crois, dans l’intégralité du texte final.

François : On devait faire un discours politique, et j’ai critiqué le tram et proposé un péage sur le pont de Recouvrance. M. était là pour récolter de l’argent, mais en pantalon à cause du vent !

Et pourtant le « je » est très présent.

François : Le principe de notre nouvelle est de nous placer dans l’esprit d’un auteur. C’est sa pensée immédiate, on sait qu’il va écrire un livre, on a l’impression qu’il se parle tout seul, il passe du coq à l’âne.

Ce texte présente une belle tranche d’humanité.

Vincent : Avec ce fil et cette méthodologie qui consiste à limiter au maximum le formalisme, à être dans la liberté et dans le plaisir, en groupe, on amène progressivement les participants à l'acte immédiat d'écriture, sans filtre. On retrouve donc davantage d’eux-mêmes, des parties de leur histoire individuelle ou partagée, de leur parcours, de leurs interactions, de leur humeur du moment.

Thierry : C’est cela, l’humanisme de notre association : se faire plaisir mais aussi chasser nos problèmes psy personnels. « La psychiatrie ça nous concerne », c’est un message.

Le titre est apparu très tard. Nous avions plusieurs passages avec des animaux, des onomatopées. La nouvelle exprime l’humanité dans toute sa variété. L’étoile pourrait correspondre à M.

François : Je voudrais ajouter que nous sommes très fiers du résultat. Le but initial était de se faire plaisir et… on a réussi à écrire un livre. Les gens du GEM au spectacle ont été bluffés, ils ne s’attendaient pas à un tel niveau.

Thierry : Nous avons une énorme reconnaissance pour Vincent, Maïwenn, pour le Conseil Départemental. Sans eux, on n’aurait pas ça. Un grand merci.

Ce projet nous a donné confiance en nous, nous a apporté du plaisir, nous fait connaître. C’est un projet collectif, vraiment réalisé tous ensemble.

Et actuellement, que faites-vous ?

Vincent : Nous avons lancé un autre travail depuis octobre 2015, un conte articulé en neuf étapes, celles du voyage, du périple d'un-e enfant réfugié-e, forcé-e de fuir son pays pour une destination inconnue. Ce travail est plus formalisé, plus cadré, mais toujours en privilégiant une écriture simple, cette fois-ci enfantine et imagée.

 

Pour en savoir plus: 

http://www.agehb.asso.fr/pole-logement-accueil-et-entraide-au-petit-grain-pxl-39_31.html

https://www.facebook.com/profile.php?id=100010038482949&fref;=ts

Propos recueillis par Natalia Leclerc

About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s’appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien… Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien…).

 

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