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Depuis le 2 juillet 2015, le musée des Beaux-Arts de Brest met à l’honneur le travail de graphiste de Pierre Péron, dans une exposition en diptyque, dont le premier volet est ouvert depuis le mois d’avril, au musée de la Marine.

Le graphisme au musée des Beaux-Arts, c’est l’occasion de faire connaître un aspect moins connu de la création de Pierre Péron, ce qui répond, pour Pascal Aumasson, au rôle d’un musée public – qui est fondamentalement un lieu de découverte. La dernière exposition sur ce travail graphique date en effet de 1995, à Locronan, au musée aujourd’hui disparu de l’affiche en Bretagne. Il était donc temps de remettre en avant cette dimension de l’œuvre considérable de Pierre Péron.

La muséographie conçue par Fañch Le Henaff pour l’exposition suit cinq thématiques, distinctes sans être étanches. Elles permettent de se plonger dans des axes du travail de Pierre Péron, envisagés chacun dans la durée, mais suivant également la chronologie de l’artiste. 

Cette présentation par cycles permet d’assimiler l’étendue de la création de cet artiste qui apparaît d’emblée comme un bourreau de travail, et dont l’exposition du musée de la Marine montre également l’immensité des champs parcourus. Elle permet également de s’approprier le destin de Pierre Péron, parti à Nantes puis à Paris et revenu à Brest en 1965, breton exilé qui ne coupa jamais les ponts avec sa Bretagne, y compris à titre professionnel, mais qui s’enrichit de toutes les images captées à la capitale. La disposition du musée des Beaux-Arts est d’ailleurs telle que le visiteur plonge dans le sous-sol, comme il plongerait dans le métro, coupure qui lui ferait presque oublier le Brest des années 2010. Et avant d’entrer dans la salle elle-même, il est recommandé de ne pas manquer les deux œuvres, une affiche et une petite gouache, exposées en dehors, qui montrent comment il travaillait à l’âge de 19 ans, dans un style encore un peu XIXe siècle, avant de s’engouffrer pleinement dans le XXe, et ses années folles.


 

L’affichiste moderne

Pierre Péron réalisa de nombreux projets d’affiches, dont on ne sait pas toujours si elles furent finalement commandées, et dont il reste en tout cas des gouaches. Car la vie d’un graphiste est faite de ces commandes, et Pierre Péron avait le projet de vivre du métier de dessinateur publicitaire, si le krash de 1929 n’était pas venu saper ses rêves et le conduire à enseigner le dessin, à partir de 1933, dans les écoles communales de Saint-Denis.

Des projets, donc, Pierre Péron en a réalisé un grand nombre, et son style est celui de l’entre-deux-guerres : le volume qui naît des dégradés de couleurs, des couleurs saturées, des obliques qui donnent la dynamique d’ensemble. Il crée aussi bien la célèbre affiche Jazz, que des publicités pour du café, des sardines, de la bière ou de l’anis. C’est peut-être dans ces travaux que ressort le plus son humour.

Il est encore capable de mettre son trait au service du transport, ferroviaire, maritime ou aérien, dans un style géométrique et futuriste, proche de l’abstraction, du Bauhaus. Et à côté de cette célébration de la puissance de la machine, qui conduit l’homme à transcender ses limites, à tendre au surhomme, il dénonce aussi, dans une affiche longtemps restée inconnue, la menace fasciste.

Dès le début, il est aussi attentif au caractère, et mêle des lettres manuscrites à des caractères qu’il invente. On retrouve cette réflexion sur la lettre dans l’espace « Mots-images ».

L’artiste Seiz Breur

Pierre Péron n’est pas brittophone, mais il tient à ses racines et à son histoire. Il finit donc par rejoindre le groupe Seiz Breur, auquel appartient son ami cher, René-Yves Creston, et dont le projet d’ensemble est de représenter la Bretagne à Paris.

La contribution la plus notable de Pierre Péron au travail de ce groupe se manifeste dans son implication dans la conception du pavillon breton de l’Exposition internationale, qui se tient à Paris en 1937. On verra notamment ses premiers photomontages.

L’esprit Seiz Breur, c’est aussi la réalisation d’une affiche publicitaire pour les fraises de Plougastel, avec un travail très intéressant autour du costume traditionnel, qu’il éloigne d’une imagerie folklorisante, tout en le traduisant fidèlement.

C’est encore la série de six linogravures, six images pieuses revisitant les saints bretons, ou l’illustration de la légende de Salaün ar Foll, fait légendaire breton, mais raconté en français.

C’est encore l’époque où il illustre les textes de son ami Jakez Riou, dans la revue Gwalarn, notamment.

C’est enfin celle où il se fait construire une maison à Saint-Pierre-Quilbignon, pour avoir un pied-à-terre à Brest. On peut en voir un dessin, que Pierre Péron reconstitua de mémoire, en 1942, alors qu’il était en captivité.

L’illustrateur-conteur

Le travail d’illustration marque toute l’existence de Pierre Péron et, dès 1924, est sollicité par La Dépêche pour des caricatures, des dessins humoristiques chroniquant la vie brestoise. Rebaptisé Télégramme après la Libération, le journal commande à Pierre Péron une série de chroniques encore, puis, chaque année de 1957 à 1988, les unes pour les éditions de Noël et du Nouvel An, ainsi que les unes des grands événements culturels bretons. Toute la fantaisie de l’artiste s’y déploie, d’autant que le Télégramme est le premier quotidien en France à imprimer des unes en couleurs – grâce à Pierre Péron.

Le travail d’illustration de l’artiste prend également la forme d’albums, et il raconte et conte en images l’idylle charmante entre Peskett, petit homme-poisson, et Bigoudi, jeune sirène, dans la ville d’Ys, ou encore la Noce à Pichavant, dont le texte est marqué par des tournures bretonnantes, auxquelles Jakez Riou l’avait sensibilisé.

 

 

Et l’on retrouve encore cette culture bretonne dans les illustrations qu’il propose du travail de collectage réalisé par Anatole Le Braz à la fin du XIXe siècle sur la légende de la mort en Bretagne. Car si Pierre Péron est connu pour son humour, il peut aussi dessiner gravement, comme il le fait avec les catastrophes pétrolières, et en particulier celle de l’Amoco Cadiz, ou avec l’illustration de la mélancolie du poème de Prévert, « Barbara ».

Mots-images, images des mots

Bien saisir toute l’étendue de la réflexion de Pierre Péron, c’est aussi comprendre sa préoccupation de la typographie. Elle ne lui est pas propre, puisqu’elle répond à une réflexion qui anime les artistes de la première moitié du siècle, de la Russie aux Seiz Breur, en passant par le Bauhaus, comme l’analyse Fañch Le Henaff dans le chapitre du catalogue consacré à la question. Mais Pierre Péron s’approprie la question, s’intéresse notamment à la relation de lettre et du mot, aime créer des lettres-personnages, et travaille le volume des lettres avec des modèles en bois.

Et Fañch Le Henaff rend hommage à ce souci de la lettre en composant le catalogue et tous les textes de la muséographie de l’exposition avec le caractère typographique Brito, qu’il a créé. 

L’élégance graphique

Dernière étape de cette traversée, le travail graphique au service de l’ornement. Le travail de simplification, engagé dans sa peinture ou ses illustrations, atteint un stade encore plus intense, avec la production de signes très épurés, destinés à la création de bijoux, pour la société Kelt, mais aussi de foulards, pour la société Le Minor, à Pont-l’Abbé dans un style bigouden, et surtout pour Hermès, avec laquelle il collabore à partir de 1952, sollicité d’abord pour transformer en carré de soie une affiche publicitaire pour des éclairages de navigation.

Jusque dans les années 1970, Pierre Péron fournit donc une quarantaine de modèles de carrés, dont l’exposition ne peut montrer qu’un échantillon. Mais on observe toujours cette stylisation, que Fañch Le Henaff a choisi de souligner en montrant par exemple le modèle « Virages », composé de routes et d’échangeurs, où l’on peut voir, tout aussi bien, un motif celtique.

Cette simplification est mise en valeur dans une série de barques, qui ponctuent sa création et montrent comment Pierre Péron naviguait de l’observation de la réalité concrète à la production de signes. Elle illustre à elle seule le transfert que Pierre Péron effectua sans cesse, de l’art pictural à l’art graphique.

Cette exposition est visible jusqu’au 3 janvier 2016, et a été imaginée en parallèle de celle du musée de la Marine, « Pierre Péron, à l’ancre », visible au musée de la Marine jusqu’au 2 novembre 2015.


 

Deux ouvrages complètent ces deux expositions :

Tous les Brest de Pierre Péron, Françoise et Yves-Marie Péron ; Coop Breizh, 2014.

L’art graphique et moderne de Pierre Péron, sous la direction de Fañch Le Henaff ; Locus Solus, 2015.


 

Je remercie Pascal Aumasson, directeur du musée des Beaux-Arts, et Fañch Le Henaff, graphiste et commissaire de l’exposition, pour le temps qu’ils m’ont accordé.

 

 

Natalia LECLERC
About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s'appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien... Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien...).

 

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