Texte de Marguerite Castel / Photographies de Mélina Jaouen
L'auteur brestois a construit en 15 ans une oeuvre éclectique, fruit d'un farouche appétit pour l'expérimentation et les rencontres artistiques. Son imagination regorge d'humour, de malice et de poésie pour signer romans, scénarios de bande dessinée, chansons, disques et bricolages curieux. Créateur du label auto-géré l'Eglise de la petite folie, il est aussi la locomotive d'un collectif multi-artistique le Studio Fantôme et l'un des fondateurs du Festival Invisible (musiques underground). Sa mécanique est cohérente et efficace.
Portrait.
C'est une farandole de dinosaures, de monstres, de robots, de détectives, de fous, d'extra-terrestres et de soucoupes volantes... Il y a quelque chose d'enfantin et de baroque dans l'univers artistique d'Arnaud Le Gouefflec. Des matières qui relèvent du rêve, de la malice, de l'aventure, du jeu, de l'expérimentation, de la camaraderie complice, de la fantaisie et du mystère, tout à la fois. Elles sont imbriquées les unes aux autres et l'auteur les fait évoluer savamment comme il tournerait un rubix’s cube de lettres et de sons.
Il y a quelque chose d'enfantin aussi sur le visage d'Arnaud Le Gouefflec. Entre sa barbichette de mousquetaire et sa tignasse de tête blonde (genre poulbot de La Guerre des boutons), se dessinent des traits arrondis annonciateurs d'un esprit ouvert. Des yeux ronds comme des billes (ou des olives) en disent long sur sa malice, sa gourmandise et son imagination. Il y a un esprit rock dans le ton décalé de l'écrivain et du musicien touche-à-tout épris de liberté et d'audace.
Sa démarche tranquille et sa voix posée disent aussi de l'artiste qu'il est père et enseignant. Bien entendu cet amoureux des mots (et des jeux de mots) enseigne le français. Je me dis d'emblée que ses élèves ont de la chance... Celle-là même qu'il a eue de rencontrer un professeur qui lui a tout appris dès la sixième.
Gamin, j'avais déjà cette envie, ce besoin de raconter des histoires, cela me rendait heureux. J'ai écrit mon premier roman de science-fiction à la machine en sixième. Les profs encourageaient beaucoup à cela, on écrivait de la poésie en alexandrins.
Une sphère créative en pelote de laine
L'écriture, avant la musique, est le premier espace créatif «spontané» d'Arnaud Le Gouëfflec. Il s'y épanouit avec une certaine discipline, l'après-midi: «Gamin, j'avais déjà cette envie, ce besoin de raconter des histoires, cela me rendait heureux. J'ai écrit mon premier roman de science-fiction à la machine en sixième. Les profs encourageaient beaucoup à cela, on écrivait de la poésie en alexandrins». Jeune collégien il dévore aussi beaucoup de bandes dessinées, avec une appétence particulière pour la science-fiction. Peut-être pour s'évader de ce petit village normand de Saint-Hilaire du Harcouët où il s'est senti débarqué. Lui ce «né-natif» de Brest n'a eu la joie de grandir dans la cité du Ponant que pour les vacances scolaires... Dès le bac en poche , il s'est donc empressé d'y revenir et d'y rester! C'est ici, qu'il roule et déroule sa «pelote de laine». Cette image fétiche est de lui pour désigner sa sphère créative: elle s'étend et se multiplie de manière méthodique et intuitive sans qu'il s'emmêle les fils.
En 2004, à 30 ans, il commet son premier roman, noir, Basile et Massue (éditions L'Escarbille, réédité par Sixto en 2015). «J'aime la littérature noire pour son humour».
Un premier succès encourageant. Suivent Les Discrets, L'irrésistible, La Noctambule: une trilogie féconde qui met en scène le détective Johnny Spinoza, au nom qui sonne comme un oxymore...
Arnaud se fond avec jubilation dans la peau du modeste écrivain, qui, rivé à son clavier, imagine des aventures rocambolesques en prêtant à ses personnages les traits de ceux qu'il côtoie dans la réalité. Comme dans Le Magnifique (film de Philippe de Broca, 1973, avec Jean-Paul Belmondo), il ferait exploser des bombes sur une plage rien qu'avec des travaux de plomberie! Quoique que ses histoires ne se déroulent jamais sous les cocotiers...
Son univers est résolument urbain et portuaire, plutôt nocturne, voire fantasmatique. Gare, bars de nuit, salles de concerts, hôtels, quais, ponts, places, escaliers, passages secrets... Tous ces lieux fréquentés par des gens abîmés qui marchent la nuit animent son oeuvre. «J'aime le côté trivial et lyrique de la ville, il y a une énergie». Cette urbanité est particulièrement prégnante dans ses scénarios de BD, Brest les tapisse de manière intemporelle. Obion et Briac, chacun dans leur style, l'ont parfaitement restituée par leur dessin. «Je me suis jeté à l'eau dans l'écriture de BD pour creuser la construction des histoires. J'ai tiré des ficelles.»
Les passerelles de l'écriture, les ponts du rock
Auteur accompli, Arnaud le Gouëfflec n'est pas du style à s'installer dans une fonction, une routine. À ses heures perdues, il s'adonne à la poésie mécanique sur son blog (la pelote). En vers et en rythme, ça le détend: «C'est mon yoga perso, certaines écritures reposent».
Comme s'il voulait surprendre, il cherche encore des passerelles. «Je me suis rendu compte qu'il est possible d'écrire plein de choses, comme un musicien peut jouer dans un orchestre de jazz et s'adapter à des collaborations multiples», confie cet auteur éclectique. Depuis son adolescence, il vénère justement Boris Vian: «Sa démarche ramifiée me fascine, il a écrit romans et poèmes et est allé à la chanson au culot, sans être un chanteur à voix. Pourquoi se le serait-il interdit? Vian est le chaînon manquant entre Trénet et Gainsbourg, son exemple est décomplexant.»
Il n'y a qu'un pas naturel à franchir alors vers l'écriture de chansons. Sa culture rock et sa faculté à générer des rencontres créatives lui donne des ailes. «Ce n'est pas compliqué, je suis les principes de rythmes et de répétitions». Avec le Petit Fossoyeur (quintette breton) et Guillaume Jouan (premier guitariste de Miossec), il s'était aventuré en deux albums (1995 et 2001) à la lisière de la chanson irréaliste et du rock indépendant. L'industrie du disque était peu accessible mais le projet avait rencontré un beau succès d'estime.
Dompteur de mots, bricoleur de sons
Car depuis pas mal d'années aussi, ce dompteur de mots cherche aussi des accords à la guitare sèche, bricole dans son labo des collages sonores en solo et compile des cassettes tel un docteur Jekyll. Il comprend vite que pour progresser, il suffit de faire tomber les obstacles.
«Je suis un enfant du rock, c'est une musique démocratique, d'une urgence primitive. Il n' y a pas d'interdiction sociale à en faire». Pas étonnant qu'il créé dans la foulée un label auto-géré, l'Eglise de la Petite Folie (2002), pour sortir ses propres disques et s'ouvrir à d'autres artistes. «Cette logique d'expérimentation est fondamentale, j'avais envie de maîtriser toute la chaîne artistique, de mixer moi-même, de m'entourer de musiciens».
L'arrivée du numérique a eu un effet levier, la rencontre avec John Trap (arrangeur) aussi. S'en suit une période de boulimie créative qui se décline en collaborations multiples et pas des moindres. Le bricoleur Le Gouëfflec se lie notamment à une légende de l'underground américain, le compositeur et improvisateur Eugène Chadbourne! Ensemble ils «fabriquent» une session fantôme 1, sorte de boeuf enregistré avec soin. Olivier Polard (guitariste et compositeur), avec qui il avait collaboré dans le fanzine Mazout, a eu le bonheur d'être appelé dans cette aventure: «Musicalement, Arnaud me semblait un peu trop chanson française, or, en réalité il écoute de tout, il vient du rock garage et du krautrock allemand. Son goût pour l'expérimentation me plaît, il mène ses activités de front avec obstination, générosité, humour et efficacité. Ce collectif d'artistes est une belle expérience.»
Depuis dix ans aussi, il est la locomotive du festival Invisible, désormais un grand rendez-vous de musiques underground tous azimuts, dont la barre est de plus en plus haute.
La dernière pépite de la ruche Le Gouefflec se nomme Deux fois dans le même fleuve. Contre toute attente, c'est un album de chansons folk. Une pause inattendue. Arnaud Le Gouefflec, Olivier Polard et John Trap l'ont déjà porté sur la scène en mai dernier, avec le batteur Régis Boulard. C'était une commande du Quartz, en deux soirées de concert dessiné en direct par Briac.
Onze chansons composées «à la chicorée, sans anicroche ni d'ego mal placé» (dixit Olivier Polard), semées de cloches et de percussions, pour méditer au fond de la rivière à la rencontre d'un étrange bestiaire. Arnaud Le Gouëfflec invite cette fois à adopter une nouvelle posture, onirique certes mais moins innocente. L'aphorisme d'Héraclite ne dissimule-t-il pas un spleen naissant?
Je suis un enfant du rock, c'est une musique démocratique, d'une urgence primitive. Il n' y a pas d'interdiction sociale à en faire.
Clés d'entrée
Ses personnages: Basile (le petit propre), Massue (le grand négligé), Bison (le patron de bistrot alcolo), Johnny Spinoza (le détective ramifié, spécialisé en filatures, meurtres massacres et hécatombes), Cunégonde (sa secrétaire noctambule et lucide), Albert Lampion (l'amant banal), le commissaire Pelage (un gros policier tout en sueur), Marin (le thésard de Mac Orlan), Marguerite (une sauveuse des bas fonds de Recouvrance), Christian (le disquaire dépressif de Saint-Martin), sa tante Albige (une bourgeoise opiomane), Dominique A (le chanteur que personne n'a envie de tuer), Maître Gorgibus (abbé de Sainte-Paluche à l'imagination puissante), les Papes (saints issus des visions de Gorgibus), les discrets (tous ces gens qu'on oublie de servir lorsqu'il s'assoient à la table d'un café) et les robots (Robotosaure, Azote).
Ses camarades de jeu: Obion et Briac (dessinateurs de BD), les éditions Ginko, Olivier Polard et Johnap (musiciens sur l'album Deux fois dans le même fleuve), Eugène Chadbourne, Chapi Chapo, Odette Picaud (décor de scène), Maëlle le Gouëfflec (sa complice et soutien).
Ses lieux: Brest, est la toile de fond de toute son oeuvre, en particulier dans ses romans noirs et BD. Le studio Fantôme (un petit lieu réel) qui accueille les performances multiartistiques qu'il organise.