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« Le mutisme est en train d’asphyxier le mouvement. »…

« Pendant qu’elle dort, je viens jouer dans son théâtre »…

« Dans la subversion, il faut qu’il n’y ait pas de doutes »…

Ces paroles volées sont celles de Volmir Cordeiro. Dans la coquille noire qu’est devenu le studio de danse du Quartz, il déplace son corps longiligne sur le plateau et traverse l’espace avec ce double statut de chorégraphe et d’interprète. Ce double statut est, parmi bien d’autres choses, ce qui rapproche cet homme de Marcela Corvalan Santander, artiste associée à la scène nationale de Brest depuis septembre 2014. Il danse plusieurs années pour Lia Rodrigues (Brésil) avant d’intégrer la formation « essais » en 2011 au CNDC d’Angers. Interprète auprès de Xavier Le Roy et Emmanuelle Huynh, il est l’auteur de deux solos Ciel et Inès, dans lesquels il interroge différentes figures de la marginalité, thématique fil rouge de son travail puisque c’est également le sujet de la thèse qu’il écrit actuellement, à Paris VIII. Le parcours est aussi ce qui rapproche ces deux jeunes êtres : elle suit une formation en danse contemporaine au CNDC après des études de danse-théâtre à la Scuola D’Arte Dramatica Paolo Grassi de Milan… en parallèle, elle étudie l’histoire à l’université de Trento en Italie et la théorie de la danse à Paris VIII. Interprète des Sacres du Printemps de Dominique Brun, elle collabore avec Mickaël Phelippeau pour la pièce Chorus, et co-écrit Something around the sound, avec Clarisse Chanel et deux musiciens.

Pourquoi s’attacher à la biographie de ces artistes ? Parce qu’elle nous aide à comprendre qui ils sont et comment leur travail se construit. Ce sont donc, nous l’avons établi, deux interprètes et chorégraphes. Mais ce sont également deux jeunes intellectuels, qui, loin de produire un travail non dansé et inaccessible, écrivent le mouvement de manière pensée et analysée sans que cette dimension de la partition exclue la part de ressenti.

Époque est le titre de la pièce présentée au Quartz dans le cadre de l’édition 2015 du festival DansFabrik. Cette pièce prend son essence dans les réflexions qui animent l’un et l’autre. Pour Marcela, il s’agit notamment de questionnements autour de l’interprète. Qui est-il aujourd’hui? Comment travaille-t-il? À quoi rêve-t-il? Quelles sont ses fascinations et ses crises, d’un projet à l’autre ? Volmir, dont le dernier solo, Ines, s’appuie sur le témoignage d’une femme torturée pendant la dictature du Brésil, interroge le pouvoir et la forme qu’il prend, notamment sur scène.

Tous les deux s’intéressent à la notion de récit et à la manière dont peuvent se raconter les expériences vécues sans être dans un registre autobiographique. Il s’agit alors d’élaborer un récit hybride : son propre récit à partir du récit des autres. Un travail de mémoire…

On comprend alors que pour ces deux artistes, la place du verbe est essentielle. D’ailleurs, le verbe est au fondement de l’écriture d’Époque. Cette pièce d’une heure met en scène, questionne, le rapport au pouvoir dans l’histoire de la danse. De quelle manière et à travers quelles figures ce pouvoir a-t-il pu s’exprimer sur scène? Pour écrire, Marcela Santander et Volmir Cordeiro vont s’imprégner de récits et d’autobiographies de femmes interprètes et chorégraphes des années 20 à aujourd’hui. Ces textes, qui racontent la danse / les danses, seront l’unique source de travail ; le non-recours à la vidéo leur permettra de construire leur propre imaginaire à partir du verbe. De ces femmes, ils retiennent la puissance de subversion, l’extravagance… des qualités d’interprétation lues à plusieurs reprises à travers les récits et qui participent aujourd’hui à la construction de la pièce. De ces femmes, on retient la façon dont elles ont flirté avec ce que pouvait être l’immoralité, où en tous cas la perception de l’immoralité par le public à travers les époques. Ainsi, en s’appropriant, en imaginant leur danse, Marcela et Volmir jouent avec les limites du public d’aujourd’hui, sans indécence, sans voyeurisme, mais en interrogeant ce qui créé la gêne. Dans cette coquille, le public n’échappe pas à une frontalité avouée. Il est partie prenante de ce qui se passe sur scène, il regarde, ne pouvant faire autrement.

Solo devenu duo. Deux sur le plateau. Un homme, une femme. S’ils disent ne pas s’être, a priori, attachés à la notion de genre, être au-delà du genre, la mise en question de la féminité et de la masculinité perce dans leurs tenues et la nudité qu’elles laissent entrevoir, dans une certaine gestuelle également. Et le noir du décor souligne le dessin de corps en mouvement dans une intimité qui touche.

Solo devenu duo. La dualité sur le plateau met en exergue le processus de déphasage. Déphasage dans le temps et dans l’interprétation, déphasage entre la danse de l’interprète et ce qu’elle en dit, puis entre ce que l’on en comprend et ce que l’on en fait pour créer. Deux individus qui ne peuvent exister seuls - si l’un disparaît, le décalage se perd et l’autre cesse alors d’exister.

Solo devenu duo. Guerre de plateau, chacun sur son territoire, face à son public, ils évoluent dans une danse parfois révoltée, guerrière dans laquelle l’expressivité du visage explore le registre du grotesque et l’appel au sol est une prise de pouvoir.

Retrouvez les entretiens réalisés par Le Poulailler en septembre 2014 avec Volmir Cordeiro et Marcela Corvalan Santander.

Retrouvez toutes les informations relatives au festival DansFabrik

Crédit photos : Mélina Jaouen

About the Author

Rédactrice et photographe. Enfant, elle a des correspondants un peu partout. Elle écrit des lettres à longueur de journée (même en classe), les envoie parfois - pas toujours. Plus tard, elle est diplômée de sciences-po Bordeaux et d'un MASTER en management du spectacle vivant.

 

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