Eros photographe

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Camille Guillevic et Gérard Zingg, Si je te vois, je suis à toi, éditions Dumerchez, 2014. expose actuellement au centre atlantique de la photographie (le quartz) dans le cadre de l’exposition la vague.
Frédéric Boilet et Laia Canada, 286 jours, éditions Les Impressions Nouvelles, 2014, 544p

Il n’est pas faux de penser que Si je te vois, je suis à toi, de la photographe Camille Guillevic et de son complice en écriture Gérad Zingg, est un livre pour enfants. Seulement, il faut ici considérer que l’enfance est davantage un état d’esprit qu’un âge légal.

Placé sous la fantaisie d’un aphorisme d’Éric Satie – « La mer est remplie d’eau, c’est à n’y rien comprendre » - recopiée à la main, comme chaque phrase ici, ce bel ouvrage tout bleu est un jeu de chat et de souris, une sirène nue, dite Cachalot, cabriolant dans l’eau pour y attirer son Buffalo imaginaire, et si possible sans maillot.

Dieu, que la création est belle lorsqu’elle parade aussi joyeusement !

Ecrit comme une chanson enfantine de Steve Warring , dans la simplicité et l’entêtement des rimes à deux euros six sous (lasso/rigolo/blancs lolos), ce petit livre est une ode au corps libre. Très peu pour lui, les emberlificotions psychologiques ! Place au jeu, et au secret des femmes lorsqu’elles sont heureuses.

Mais combien de temps dureront les plaisirs de la séduction ?

286 jours semblent nous dire Frédéric Boilet et Laia Canada dans un album photographique réinventant le roman-photo.

Une jeune fille espagnole, barcelonaise, rejoint dans son chalet des Vosges son amant français. Des centaines de photographies témoigneront dès lors, en trois parties plus un épilogue, d’une relation aussi belle et érotique que déchirante à l’heure des incompréhensions.

Laia Canada ayant contacté le mangaka français Frédéric Boilet après avoir lu son étonnant album dessiné (inspiré de photographies) publié aux éditions Ego comme X en 2002, L’épinard de Yukiko (récit d’un hyperréalisme proche du rêve de la rencontre entre le dessinateur et la jeune japonaise Yukiko Hashimoto résidant à Yokohama), 286 jours est une histoire d’amour commençant par un mail admiratif laissant supposer la possibilité d’une rencontre.

Livre hybride, associant correspondance numérique, sms, paroles de chanson (« L’ivresse des hauteurs » de Arthur H), dessins, recettes de cuisine (Cailles rôties à la sarriette et au citron, Daurade royale à la vapeur de citronnelle, Truites grillées à la braise de sarments) et surtout un très grand nombre de photographies, 286 jours est un objet aussi attirant que pudique, aussi sensuel (les vins, le chat, les tuniques flottantes, un soutien-gorge sur le sofa moutarde, le corps nu sur la plage) que douloureux.

Dire le bonheur à la façon de Claude Nori – Flirt photographique.

Des avions, un lit, des draps blancs défaits, des chaussures délacées, la lumière dans la cuisine, les gestes de l’amour physique, la beauté du sans apprêt, des larmes, des miroirs, de la neige, des villes de séparations ou de retrouvailles. Un appareil photographique qui change parfois de mains, par amour. Un ordre chronologique.

Un ordre esthétique.

Voyeurisme ? Exhibitionnisme ?

Ces termes paraissent bien pauvres quand s’offre ainsi la nudité d’une relation amoureuse, banale, exemplaire, et terriblement charmante dans sa façon de saisir le goût de l’instant.

Il y a plus de vingt ans, avec 3615 Alexia, Frédéric Boilet lançait déjà les grandes lignes de son œuvre : l’artiste et son modèle, la réciprocité des désirs, la vie documentée, les déchirures intimes.

« Ce qui était tordu se redressait / Ce qui était obscurci s’éclaircissait / Ce qui était cadenassé se déverrouillait » (Arthur H)

L’art rend supportable tout ce qui ne l’est pas, c’est-à-dire presque tout de l’organisation du champ social.

Parce que l’art retourne le mal et la violence en délicatesse, fût-elle brutale.

Les sexes de Camille Guillevic, Frédéric Boilet et Laia Canada nous regardent avec franchise, ce texte rend grâce de leur absence totale d’obscénité.

About the Author

Agrégé de lettres modernes, chargé de cours à l’Université Bretagne Ouest, dont les recherches concernent notamment la littérature contemporaine. Journaliste free lance.

 

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