By

Blind-date

Avant les balances, les musiciens discutent, en anglais. On parle des collaborations qu’on a faites, «est-ce que tu le connais? Vous avez joué ensemble l’année dernière, non?» Les échanges sont presque timides, peut-être parce qu’ils se font en anglais. C’est cela, le dispositif Arch, des rencontres sur le vif, sans préparation préalable, un blind date musical rendu risqué par l’absence totale de répétition préalable.

Twilight Zone

Vincent Raude, aux machines, démarre le concert avec des déflagrations ralenties, puissantes comme le bruit d’un éclair lent, et Samuel Blaser installe le son de son trombone sur ces sonorités rétrofuturistes. L’ambiance est extraterrestre, façon générique de la quatrième dimension, jusqu’à ce que Frédéric B. Briet restreigne sa contrebasse à quelques notes, puis une seule. Il invite la batterie de Peter Bruun à le rejoindre. La section rythmique sacrifie sa liberté pour offrir une base solide sur laquelle s’appuyer. Samuel Blaser prend alors le lead, mais un peu timidement, comme à regret. La promenade mélodique qu’il propose offre pourtant une respiration agréable.

La mélodie des sections rythmiques

Derrière, la basse et la batterie se sont trouvées, Peter Bruun et Frédéric B. Briet s’offrent une escapade en duo, énergique, rafraîchissante, et lorsque le trombone les rejoint, la musique, qu’on a attendue pendant près d’un quart d’heure, s’installe enfin pour de bon. Chacun prend son tour de solo, le passe au suivant, et on se régale lorsque vient le tour de Peter Bruun. La diversité de ses attaques -baguettes, ballets, main nue- soutient une montée progressive, envoûtante. Généreux, le batteur danois envoie des signaux, puis des appels, il relance les autres musiciens, qui attrapent la balle au bond.

Claustrophobie électronique

Comme des gouttes d’huiles versées dans de l’eau, les interventions de Vincent Raude peinent à se fondre dans l’ambiance sonore. Les craquements qu’il produit semblent même parfois involontaires. Ses longs frottements étouffés évoquent des mouvements tectoniques sous-marins, et si on admire ses qualités évidentes de sound-designer, il faudrait plus de musicalité pour éviter la claustrophobie. Paradoxalement, les effets sonores les plus surprenants viennent des jeux de Samuel Blaser quand il taquine le pavillon de son trombone avec le bol de sa sourdine.

Temps Zombie

On voudrait applaudir, mais les musiciens semblent avoir fait le choix de ne jamais s’interrompre. Est-ce un choix ? On a parfois l’impression que lorsque les instrumentistes voudraient faire une pause, Vincent Raude a peur du silence. Sans aucun temps mort, difficile d’être vivants tout le temps. À côté de moi, un spectateur s’allonge. Pourquoi pas ? À l’horizontale on se laisse porter par le tissu sonore qui, lui aussi s’allonge, un peu paresseusement. Peter Bruune fait ses propres questions-réponses entre les cymbales et les peaux. Et c’est très bien ainsi.

On retiendra de la rencontre les moments de délicatesse, de grâce, à l’image du silence final ; les spectateurs en suspens, pas tout à fait sûrs d’avoir le droit de respirer, avant, enfin, d’applaudir franchement.

Voir toutes les chroniques consacrés à lAtlantique Jazz Festival

About the Author

 

Leave a Reply