JeanJeanne. Derrière ce nom ambivalent se cache un jeune groupe de rock au son singulier qui a fait de la harpe électrique son cheval de bataille. Surprenant à plus d’un titre, le quartet brasse les influences pour creuser son propre sillon en mêlant à des textes, en français, des riffs puissants et une rythmique implacable. C’est cet univers que la formation vous invite à arpenter, le 27 octobre 2016, au P’tit Minou, à l’occasion de la release party de son premier album, désormais disponible dans les bacs. Rencontre avec Nikolaz Cadoret, l’un des harpistes du groupe.
Comment est né le projet JeanJeanne?
JeanJeanne est au départ une initiative de la chanteuse et harpiste Cristine Mérienne, qui éprouvait le désir de faire entrer son nouveau projet de chansons, intitulé Ulyssia, dans un univers plus électrique, plus sombre, mais toujours en gardant la signature instrumentale des harpes. Elle a donc fait appel à Alice Soria-Cadoret (Descofar) et moi-même, qui creusons cette question de la harpe électrique dans les musiques actuelles depuis longtemps. Nous avions, de plus, déjà eu l’occasion de collaborer ensemble sur le spectacle jeune public Finis Terrae (JMFrance) ou encore au sein du Collectif ARP. Très rapidement s’est imposée l’idée d’y associer une rythmique, et nous avons fait appel à Yvon Molard, que nous connaissions de réputation et qui s’est immédiatement investi dans le projet. L’excitation suscitée par le son et l’osmose que l’on arrivait à obtenir nous a très rapidement fait passer d’un projet « Cristine et ses musiciens » à celui d’un groupe à part entière. C’est ainsi qu’est né JeanJeanne.
Et d’où vient le nom du groupe ?
Ce nom était dans un coin de la tête de Cristine depuis quelques temps déjà avant la formation même du groupe. Quand celui-ci a vu le jour, on s’est aperçu que « Les Pierres qui Roulent » ou « Les Garçons de la Plage » étaient déjà pris et nous avons donc opté pour ce patronyme! Plus sérieusement, cette ambivalence masculin-féminin, l’impossibilité d’un tel prénom et simplement la sonorité de ce mot nous semblent résonner avec notre musique et les textes des chansons, qui creusent, en français, des questions d’identité et travaillent sur cet espace incertain entre douceur et puissance où peut se terrer une certaine violence.
Entre le moment où le groupe s'est formé, en 2015, et la sortie de l'album, il ne s'est écoulé qu'un peu plus d'un an, ce qui est relativement peu. L'inspiration a-t-elle été si facile à trouver pour composer les sept titres qui composent cet album?
Le travail de composition et d’écriture avait déjà commencé en amont. En effet, Cristine a apporté une partie importante du répertoire et il a « suffi » de le faire entrer dans le son de JeanJeanne. Mais notre répertoire contient en réalité aujourd’hui près d’une vingtaine de titres. Comme nous l’évoquions précédemment, l’excitation liée à cette naissance a insufflé une grande dynamique de création, comme si tous ces morceaux étaient présents en nous depuis longtemps et qu’ils n’attendaient que ce moment pour sortir! Il faut aussi noter que nous sommes tous musiciens professionnels depuis de nombreuses années; JeanJeanne est donc capable de mettre en place une méthode de travail très efficace en répétition, qui nous permet de « monter » très rapidement un titre une fois que les éléments musicaux sont tous définis. Enfin, la saison 2015-2016 a été très remplie en termes de résidence et de création, puisque nous avons pu bénéficier de périodes longues de travail grâce au soutien de plusieurs lieux culturels (MJC Ti An Dud de Douarnenez, Pôle Sud à Chartres de Bretagne, Théâtre de l’Uchronie à Lyon, l’Étincelle à Rosporden), et nous associer aux conseils et à l’expertise artistique d’Olivier Prou (mise en scène), Julio Rölle (scénographie), Philippe Arbert (création lumières) et bien sûr notre compagnon de route indispensable Thomas Bloyet (ingénieur du son).
Ce qui frappe à l'écoute des morceaux, c'est le son de la harpe, qui n'est pas considérée comme un instrument très rock'n'roll. Or là, vous nous gratifiez de solos dignes des grandes heures du rock des 60's et des 70's. Quels sont, quand on joue ce type de musique, les atouts de la harpe et ce qui fait sa singularité?
Jouer du rock et plus largement de la musique amplifiée à la harpe électrique est encore aujourd’hui un terrain d’exploration presque vierge. Nous découvrons donc encore quotidiennement de nouvelles possibilités pour cet instrument. L’atout principal de la harpe électrique dans ces musiques est probablement sa polyvalence : on peut passer de sonorités très proches de la guitare électrique à une fonction de basse ou de clavier en un instant, tout en conservant cette brillance et cette fluidité inimitables, propres à la harpe en général. S’il est parfois très compliqué de jouer à la harpe un riff qui serait enfantin à la guitare, l’instrument nous permet aussi d’inventer des tournures mélodiques ou des motifs inédits dans ces musiques. Ce qui produit probablement cette sensation de « déjà-vu » accompagnée d’une impression de nouveauté parfois difficile à identifier.
Avant JeanJeanne d'autres artistes tels qu'Alan Stivell, Camille et Kennerly Kitt ou encore le duo L'Etrangleuse, ont eux aussi exploité cette dimension rock de la harpe. Ces musiciens ont-ils eu, d'une manière ou d'une autre, une influence sur vous, sur votre jeu, vos compositions?
L’histoire de la harpe électrique reste encore très récente en comparaison d’autres instruments électriques. Il serait inexact de dire qu’Alan Stivell a été une influence majeure sur le plan musical pour JeanJeanne, mais il est en revanche de façon indéniable l’un des grands pionniers de l’instrument aux côtés de Kristen Noguès ou encore Andreas Vollenweider ou bien sûr Zeena Parkins (connue surtout pour être la harpiste de Björk mais dont les projets personnels aux côtés de John Zorn, Ikué Mori ou Fred Frith sont remarquables). Le nombre de harpistes jouant de la harpe électrique étant encore très restreint malgré un développement exponentiel ces dix dernières années, nous sommes plus nombreux, chacun à notre manière, en train d’explorer des voies toutes différentes. Chaque artiste est une nouveauté, utilise l’instrument de façon originale, qu’il s’agisse de L’Étrangleuse, d’Hélène Breschand ou encore de Laura Perrudin. Les influences de JeanJeanne sont en somme davantage de l’ordre du musical que de l’instrumental, en s’inspirant de courants esthétiques du rock au sens large et en tentant simplement de les faire sonner sur les instruments que l’on sait jouer. Plutôt que de se mettre à la guitare pour jouer la musique qui nous plaît, tentons le pari de la faire sur un instrument (presque) comme les autres : la harpe électrique!
Certains morceaux dans l'album ont un côté rock affirmé et d'autres sonnent plutôt pop. Pourquoi ce choix?
JeanJeanne est encore un groupe jeune et la diversité des influences et du champ d’expression de ses membres (chanson, musiques traditionnelles, musique contemporaine, rock, musiques expérimentales) crée une grande diversité au sein du répertoire du groupe. Nous tentons de trouver à chaque fois le cadre esthétique juste pour chaque chanson, sans chercher à entrer dans un style bien codifié. Même si cela nous permettrait d’être « identifiés » plus simplement, nous tentons de trouver davantage la continuité d’un son de groupe plutôt que celui d’un genre. Ceci dit, ce « son » se précise de plus en plus à mesure que JeanJeanne avance. En concert, cette continuité sonore est d’ailleurs beaucoup plus évidente.
À quoi doit-on s'attendre avec JeanJeanne sur scène ?
Le set live est plus rock que sur l’album, même s’il conserve cette grande variété des ambiances tout au long du concert. Sur scène, JeanJeanne réinvente ses morceaux, en profitant d’espaces de liberté parfois totalement dédiés à l’improvisation, et propose un son puissant, électrique et organique. Mais la meilleure solution est sans doute de ne s’attendre à rien et de venir découvrir, et on espère apprécier, JeanJeanne avec des oreilles curieuses et grandes ouvertes!
Release Party le jeudi 27 octobre, à 20h30 au P’tit Minou (Brest). Prix Libre.
Album distribué par Coop Breizh