Pouvez-vous nous raconter comment est né votre projet?
Mélanie Gourdon: Tam a Tam est né au festival Longueur d'Ondes, il y a quelques années. Après avoir écouté de belles rencontres sonores, on s'est dit "pourquoi pas nous?" Nous avons acheté un enregistreur numérique et quelques semaines après nous partions en Finlande. C'était l'occasion de tester quelque chose. Nous avons passé du temps dans les saunas avec des Finlandais puis réalisé un mini-documentaire. Ce qui était surprenant, c'est que nous avons tout de suite eu accès à une parole libérée sur la façon dont les gens vivaient le sauna.
Tristan Cailler: Nous avons pris conscience que c'était un média intéressant, peu intrusif par rapport à la caméra.
Mélanie Gourdon: Nous avons découvert le plus vieux sauna public encore en utilisation et rencontré l'un des responsables. On nous alors confié ce que le sauna avait pu représenter pour les gens autrefois. C'était un lieu de repos assez unique et essentiellement utilisé par des bûcherons dans les forêts. Puis, on y a fait accoucher les femmes, on y a mis les morts pour purifier leur corps...
Tristan Cailler: Les enregistrements sont nés des rencontres, sans qu'un documentaire soit écrit a priori. Il y a des émotions qui naissent à l'écoute de certains sons... alors nous sortions l'enregistreur. Par exemple, nous ne sommes pas allés à la recherche de bruits qui pouvaient illustrer le sauna, mais un jour nous coupions du bois avec Hillary, une Finlandaise, et le son de ce bois coupé, extrêmement sec, nous a touchés.
Mélanie Gourdon: C'est un journal intime dans le sens où il se construit dans l'intimité d'une relation avec les gens.
Quel était votre rapport au son avant cette expérience là?
Mélanie Gourdon: Pour moi le son, c'était la musique ou la radio mais je ne l'imaginais pas comme une matière que je pouvais travailler.
Tristan Cailler: J'ai été baigné dans le flux permanent de la radio chez mes parents. Mais nous n'écoutions pas religieusement la radio. Le jeu des 1000 euros... Mon intérêt pour le son est un peu un hasard, même si je jouais de la musique. Peut-être qu'il y avait aussi l'idée d'essayer. J'avais essayé le dessin, ça ne donnait rien... je jouais de la musique mais sans y croire suffisamment pour jouer avec les autres... Avec le son, j'avais l'impression qu'il y avait quelque chose de possible. Avec le son, j'ai eu le sentiment de toucher à la fois à des choses très confidentielles et très grandes.
Donc tous vos voyages sonores sont des hasards?
Mélanie Gourdon: Oui, tout se construit au fil des rencontres.
Tristan Cailler: En ce qui me concerne, j'avais tendance à vouloir écrire un itinéraire, poser des intentions. Mais Mélanie a d'emblée souhaité que le fil rouge de cette aventure soit la rencontre hasardeuse. Or, si on planifie, on n'est pas disponible à la rencontre. Nous avons toujours fui les guides touristiques, par exemple.
Mélanie Gourdon: L'idée était de découvrir à travers notre propre regard et non au travers d'un guide où le voyage est déjà filtré. En revanche, nous savions qu'il y aurait du son puisque nous étions engagés auprès de quelques radios pour mettre en ligne des extraits, régulièrement, afin qu'ils puissent être diffusés.
Nous nous sommes imposé quelques contraintes, notamment des contraintes de format. J'ai proposé "les 57 secondes", un format très court. Puis Tristan a eu envie de créer un deuxième format que l'on a appelé "les initiatives" qui relataient la découverte d'initiatives citoyennes que nous trouvions intéressantes.
Tristan Cailler: Là encore, je m'étais dis que j'irais voir sur internet les initiatives à découvrir dans tel ou tel pays. Mais Mélanie a insisté pour que nous conservions le fil rouge du hasard de la rencontre. Et de fait, si nous étions parti d'initiatives déjà valorisées sur internet, nous aurions manqué toutes celles dont on ne parlait pas déjà sur la toile.
Mélanie Gourdon: En Turquie, un homme nous a pris en stop. Sans connaître notre projet, il nous dit "j'ai envie de vous parler de quelques chose, est-ce que vous avez du temps". On s'arrête, il nous raconte comment il a crée une association pour l'insertion de personnes handicapées.
Est-ce qu'il vous arrive parfois d'éprouver de la mélancolie lorsque vous travaillez le son a posteriori?
Mélanie Gourdon: Je ne parlerai pas de mélancolie, mais nous éprouvons une certaine émotion, notamment lorsque nous écoutons les voyages sonores collectivement. Le son refait vivre toutes ces rencontres. Je crois que je ressens davantage un attendrissement.
Tristan Cailler: Pour ma part, j'ai l'impression que le son ne vieillit pas... et c'est vrai qu'il provoque une émotion directe.
Quel rapport entretenez-vous avec le souvenir?
Tristan Cailler: Je commence tout juste à réaliser que mon rythme de vie a changé. J'ai mis un certain temps à percevoir que le voyage avait commencé et à être disponible à l'autre, à la découverte. À peine ai-je été disponible que c'était terminé. Dans le voyage, nous vivions un peu comme un enfant de trois ans qui n'a pas complètement intégré la dimension de lendemain.
Mélanie Gourdon: Nous avons éprouvé des souvenirs à l'écoute des rushs que nous avons travaillés... il y a quelques temps, nous avons relu nos notes... et nous avons réalisé qu'entre l'écrit et l'oral il y avait un écart de souvenir. "Tiens comment j'ai pu oublier ça!"... des choses qui faisaient partie de notre quotidien, que nous avons notées.
Dans cette aventure, vous êtes partis à deux... à la fois co-auteurs, compagnons de voyage et amoureux. Comment être les trois à la fois ?
Tristan Cailler: Je crois que lorsque nous sommes parti, ce n'était pas en tant qu'auteurs ou créateurs. Nous avons fait quelque chose que tout le monde pourrait faire. Il n'y a pas ceux qui créent et ceux qui ne créent pas.
Mélanie Gourdon: C'est vrai que nous étions beaucoup ensemble. À quelques occasions, nous avons été séparés. Pour la leçon de Coran par exemple en Bosnie, Tristan a été invité par notre hôte. Ensuite, il m'a fait partager ce moment à travers le son. C'est vrai qu'il y a peu de choses que nous avons vécues séparément dans cette aventure. Cela ne veut pas dire que nous les avons vécues de la même manière.
Tristan Cailler: Nous avons découvert que la manière de vivre le voyage, de le penser, diffère d'une personne à l'autre. En cela, il y a des adaptations.
Quelles sont les voies de diffusions possibles pour vos voyages sonores?
Tristan Cailler: Il y a eu d'abord les radios avec lesquelles nous avions créé un lien avant notre départ. Aujourd'hui, ce sont des invitations dans des festivals, comme Longueur d'ondes qui est spécialement dédié au son... mais aussi comme un festival de lutte contre le racisme auquel nous sommes invités prochainement, à Poitiers. Nous allons proposer un temps de réflexion et d'écoute sur le vivre ensemble. Nous proposons également des rencontres dans des médiathèques.
Retrouvez les cartes postales et cd de Tam a Tam à la petite librairie, à Brest.
Contact : 06.28.32.46.20 / tamatamproject@gmail.com
http://www.tamatam.fr