Né en 1973, Arnaud Meunier est metteur en scène. Depuis 2011, il dirige la comédie de Saint-Étienne ainsi que l'école supérieure d'art dramatique qui y est rattachée. Les 6, 7 et 8 janvier 2016, il présentait Le retour au désert, de Bernard-Marie Koltès, sur la scène nationale du Quartz à Brest.
Vous vous êtes exprimé sur l’urgence que vous aviez ressentie à monter cette pièce après les attentats de janvier 2015. Cette pièce est surtout centrée sur la relation entre Mathilde et Adrien. En quoi ce duo frère-soeur vous a-t-il intéressé dans ce contexte?
Ce duo est pour moi une métaphore de la relation entre la France et l’Algérie, de leurs chamailleries permanentes sur fond d’un amour réel et profond. La relation entre Mathilde et Adrien se développe donc avec cette métaphore en arrière-plan: l’accueil d’Adrien à Mathilde est celui d’un colon. Mathilde pour sa part réclame son bien, sa terre. Je recherchais une pièce qui parlait de ce passé colonial de la France, et j’ai trouvé dingue ce pari qu’avait fait Koltès d’en écrire une comédie. Il a parlé de "comédie féroce" et dit qu’il voulait "faire rire et inquiéter un peu". C’était en 1988. Aujourd’hui, en 2016, la pièce a pris une dimension supplémentaire. Koltès avait dit qu’il quitterait la France si le FN dépassait les 8 %.
Sur le passé colonial, vous n’avez pas eu envie de monter Les Paravents, de Genet?
Les Paravents, c’est aussi une très bonne pièce, mais c’est une parodie. Et surtout, il faut beaucoup d’acteurs, c’est une très grosse production! Le Retour au désert est une pièce de troupe, dont le moteur central est ce duo frère/soeur. Chéreau, Nichet ont aussi fait appel à de vrais duos de comédiens.
Comment vous positionnez-vous par rapport aux mises en scène de Chéreau et de Nichet, justement?
Je n’ai pas vu celle de Chéreau. En revanche, j’ai dû attendre longtemps après avoir vu celle de Nichet, pour l’effacer de ma mémoire. J’ai fait des choix de mise en scène très différents: il a surtout travaillé sur les murs, tandis que j’ai pour ma part placé un jardin au centre de la scène.
Pouvez-vous nous présenter et commenter vos choix scénographiques?
Il y a ce rêve chez Koltès d’un théâtre élisabéthain, d’un théâtre qui fait avec peu de choses, avec des signes. Cela n’empêche pas, bien au contraire, l’importance d’un ancrage dans l’espace, qui permet aussi le fantastique – qui est présent dans la pièce de Koltès.
C’est la raison pour laquelle j’ai choisi le jardin alors que la pièce se déroule normalement à l’intérieur d’une maison. La structure au centre de la scène est une boîte transformable, qui est le lieu de projection de la bourgeoisie familiale, c’est une "boîte à fantasmes". Je ne voulais surtout pas reproduire une esthétique bourgeoise, la pièce est bien une comédie et non une pièce de boulevard. Le jardin est un espace plus ouvert. Or l’histoire est écrite en tableaux et en séquences, et chaque tableau porte le nom d’une prière musulmane. Le spectacle commence en arabe avec une prière musulmane.
C’est une pièce pleine de symboles: avez-vous cherché à les mettre en évidence ou au contraire à les rendre discrets?
C’est une pièce mystérieuse, la fable est désarçonnante. J’ai trouvé intéressant de faire en sorte que les symboles soient des pistes de lecture: je ne souhaitais pas les expliciter, mais il ne fallait pas que le spectateur passe à côté. Je les ai travaillés de manière à intriguer le spectateur, à le rendre curieux.
L’écriture de Koltès comprend de nombreuses formules. Qu’est-ce qui vous a frappé?
Les passages qui ont le plus de sens pour moi dans cette pièce sont notamment ceux qui portent sur la notion d’identité. La scène où Aziz dit qu’il est un couillon, celle où le parachutiste noir parle des frontières qui bougent, celle où Mathilde se demande où est sa patrie. La question de l’appartenance est à mon avis centrale.
C’est aussi une pièce relativement classique dans sa facture, qu’en dites-vous?
Koltès écrit Le Retour au désert après avoir traduit Un Conte d’hiver de Shakespeare, et cette pièce a bien une ambition shakespearienne. Il s’affranchit des règles classiques des trois unités, et signifie les changements de lieu par des changements de signes.
Quelle pièce montez-vous actuellement?
Une pièce de Stefano Massini, Je crois en un seul dieu. Il y est question d’attentats.