By

Inspiré du roman d’Herman Koch Le Dîner (2009) – déjà adapté et mis en scène – et sélectionné pour la Mostra de Venise 2014, le dernier film d’Ivano De Matteo, Nos enfants (I nostri ragazzi), pose la question de la conscience morale.

Des parents bien sous tout rapport

Deux adolescents bourgeois, un garçon, Michele (Jacopo Olmo Antinori) et une fille, Benny (Rosabell Laurenti Sellers) quoique celle-ci le soit plus que celui-là, agressent et tuent une clocharde alors qu’ils rentrent d’une soirée arrosée. Seuls leurs parents sont au courant de la situation, car ils reconnaissent, dans les vidéos de surveillance diffusées à la télévision, leurs chères têtes blondes.

Avant cela, le réalisateur a pris le temps de nous plonger dans l’univers de chacune des deux familles. Massimo (Alessandro Gassmann), le père de la jeune fille, est avocat pénaliste. Il ne défend pas que des crapules, et la scène d’ouverture montre comment un jeune policier plein d’humour va devenir son client puisqu’il en vient à abattre avec son arme de service un homme qui enrage au volant et veut le tabasser à coups de batte de baseball. Dès l’ouverture, donc, on sait que tout le monde est coupable et que personne n’est coupable.

Massimo est un homme pressé, un époux peu attentif, même s’il est marié à une magnifique poupée, Sofia (Barbora Bobulova). Il ne fait que son travail, défendre ses clients, défense à laquelle il estime qu’ils ont pleinement droit, quoi qu’ils aient fait. Il aime Benedetta, Benny, la fille qu’il a eue de sa première femme, et le lui montre en lui achetant une petite auto à douze mille euros.

Son frère, Paolo (Luigi Lo Cascio), est d’une tout autre trempe. On se demande même comment des parents ont pu produire deux frères aussi radicalement opposés : Paolo est médecin hospitalier, pédiatre, bref, dévoué. D’autant qu’il éprouve une réelle compassion pour ses petits patients, surtout quand ils sont la victime indirecte d’un policier qui a perdu la tête et tiré sur un homme enragé, blessant grièvement le fils de ce dernier.

D’un train de vie plus modeste que celui de Massimo et Sofia, Paolo et sa femme Chiara (Giovanna Mezzogiorno) regardent avec inquiétude mais bienveillance les errances adolescentes de leur fils. Il n’a pas de très bonnes notes – il va s’y mettre ! Il regarde des vidéos violentes sur internet – c’est de son âge ! Il est renfermé, un peu coincé – qu’il aille à cette soirée !

Plongée dans les affres de la conscience

Le film est relativement lent et le spectateur a largement le temps de se plonger, d’abord dans l’existence quotidienne de ces familles, et de s’imprégner de leur mode de vie, puis dans l’effroi qu’affrontent les parents lorsqu’ils doivent prendre conscience et acte de l’atroce vérité : leurs enfants ont tué une femme.

Ce rythme est l’ingrédient principal de la narration. Le spectateur doit avoir le temps de se projeter dans les quatre consciences des quatre adultes. Car les enfants ne souffrent guère : leur seule préoccupation est de ne pas être démasqués ou dénoncés. Avoir tué une femme… pourquoi en faire toute une histoire ? Ce n’était qu’une clocharde !

Mais les parents, eux, traversent des phases diverses, surprenantes – au regard notamment de la manière dont les personnages ont été campés au début du film. Et on plonge avec eux dans l’interrogation morale. Du reste, ce n’est pas tant le jugement sur l’acte commis par les enfants qui importe qu’une interrogation proprement pratique : que faire ? les dénoncer ou les couvrir ? ou encore les dénoncer et s’arranger pour qu’ils soient défendus ? sacrifier leur avenir – brillant pour Benny, un peu plus hasardeux pour Michele ?

Embarqué dans toutes ces réflexions et hésitations, le spectateur s’insurge : il voudrait que ces deux sales gosses de riches soient punis. Surtout la fille, petite prétentieuse gâtée par un père influent et occupé. Le garçon fait presque pitié avec ses grosses lunettes et sa démarche pataude. Mais il doit prendre son mal en patience, car les parents mettent du temps à se décider à leur donner la plus grande leçon de leur vie.

Des consciences muettes

Reste un point troublant : Massimo, que l’on croyait sans morale, se résout enfin à restaurer la justice et annonce qu’il est d’accord pour dénoncer les enfants. Mais cette restauration ne semble devoir passer que par les institutions. Le reste du temps, on dirait que les parents n’ont pas accès à leurs enfants, ils parlent peu, et certainement pas du meurtre. Ils ne « communiquent » pas, comme on dit. Quelque chose est brisé entre ces adolescents et eux, même si ceux-ci sont de bien gentils parents, ouverts et tolérants. Dès lors le drame reste dans le non-dit, ou dans le vraiment-très-peu-dit, à peine un cri d’aveu de la part de Michele et une confession presque professionnelle de la part de Benny qui parle à son père comme à son avocat. D’ailleurs, le film montre de nombreuses scènes de dialogues de l’extérieur, sans que l’on entende la discussion elle-même. Les gens parlent, mais on ne sait pas ce qu’ils se disent. De même, on sait que les consciences travaillent, mais on ne sait pas à quoi elles pensent et comment elles raisonnent. C’est ce qui permet à ce travail d’être un film sur la conscience morale sans être moralisateur.

Natalia LECLERC
About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s'appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien... Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien...).

 

Leave a Reply