Entretien avec Riad Sattouf

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Riad Sattouf, invité par la Librairie Dialogues mardi 18 novembre 2014, est un homme du futur, dans son sens magique et enfantin. Et c’est donc le Riad Sattouf enfant qui nous parle dans ses derniers ouvrages, L’arabe du Futur et Pascal Brutal, le roi des hommes. Un enfant très attaché à l’éducation et la transmission et qui ne s’interdit pas un peu de science-fiction.

Eléonore Faucher : Riad Sattouf, L’Arabe du futur est une plongée dans vos souvenirs d’enfance, en Lybie et en Syrie. Une sorte de retour vers le futur ?

Riad Sattouf : J’adore le mot futur. Le futur est un concept qui renvoie à la jeunesse car les jeunesses sont censées avoir un futur. Et dans cet album je parle des aspirations de la jeunesse de la génération de mon père, pour l’arabe du futur, ou pour moi.

EF : Ces aspirations passaient par l’éducation ?

RS : Mon père était obsédé par l’éducation, et pour lui l’arabe du futur ira à l’école et sera éduqué. Comme sa génération n’était pas éduquée, il souhaitait l’éducation de la génération d’après, et donc de la mienne. Il était sorti de sa classe sociale, de fils de paysan, et il voulait que ses enfants aillent plus loin, en quelque sorte passer en deux générations de paysan à président.

Ce n’était pas intellectualisé, mais il voulait que j’aille à l’école, et que je voie comment ça se passe dans un petit village traditionnel.

EF : Vous adoptez le point de vue de l’enfant, celui qui doit être éduqué ?

RS : J’avais envie de parler du regard de l’enfant sur le père et de la transmission des adultes aux enfants. C’était vraiment cela qui m’intéressait.

À cet âge-là, l’enfant que j’étais voyait mieux les énormités de ce qui peut passer à travers une éducation et qui ne sont pas forcément conscientes. Par exemple, si un enfant voit un animal se faire tuer, et qu’on lui dit que c’est normal, il n’est pas forcément choqué. C’est plus tard que cela peut changer. Et c’est justement là que l’éducation est intervenue, et il était intéressant de montrer que j’étais choqué en réaction à ce que j’avais pu voir ou apprendre avant, en passant d’un pays et d’une culture à l’autre.

EF : Et le comportement des enfants, entre eux et avec les adultes, occupe également beaucoup de place ?

RS : Les rapports étaient très différents : les enfants français étaient extrêmement mous comparés à mes cousins syriens, qui étaient plus matures. Tous seuls toute la journée, ils grandissent plus vite que des enfants surprotégés.

Et moi j’étais entre les deux.

J’ai voulu me placer comme je me place dans la vie secrète des jeunes. Avec un regard extérieur, légèrement décalé. Je raconte dans de petites saynètes, des rapports entre des adultes et des jeunes, ou entre des jeunes entre eux. J’ai appliqué ce principe à ma propre famille.

EF : Quand vous revenez en France, vous semblez aussi choqué par de nombreux détails, de même que lorsque vous arrivez en Lybie et en Syrie.Toujours entre les deux ?

RS : Le principe était d’essayer de montrer tout au même niveau avec le même regard, en comparant les particularités de chaque pays. Je ne voulais pas hiérarchiser les pays. Peut-être que certains vont penser que la France était plus rassurante pour moi, et je laisse le lecteur se faire son idée, mais je voulais présenter les deux trucs au même niveau, avec le même regard.

EF : Cet album est réellement centré autour de votre père, de ses aspirations pour sa famille et pour lui. Votre mère est en revanche assez peu présente.

RS : Oui c’est volontaire, elle devrait être plus présente dans les prochains albums. Et cela correspond à la réalité. Ma mère était une femme soumise qui ne disait pas grand-chose. Dans cet album, j’ai volontairement montré que mon père lui faisait inconsciemment prendre la même place que celle qu’avait sa propre mère. Mon père était persuadé qu’il était quelqu’un de très moderne, il n’avait absolument pas conscience qu’il reproduisait le schéma de ses parents, comme beaucoup de gens d’ailleurs ! C’était lui qui décidait et la femme qui suivait.

Je voulais montrer ses contradictions, sa fascination pour l’éducation et l’envie de modernité, et de l’autre côté, son archaïsme sur de nombreux sujets. C’est ce paradoxe, ce conflit que je voulais explorer.

Un enfant ne le comprend pas, c’est en tant qu’adulte, en y repensant, qu’on peut éventuellement le reconsidérer.

EF : Vous avez écrit de nombreuses BD ; généralement de fiction. Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de raconter votre enfance, de vous mettre en scène ?

RS : Au moment où la guerre civile a commencé en Syrie, j’avais une partie de ma famille qui habitait encore à Homs, et j’ai donc dû les aider à venir en France. Et j’ai eu beaucoup de difficultés à obtenir des autorisations pour eux. Et ça m’a donné envie de raconter toute l’histoire depuis le début, jusqu’à aujourd’hui.

Le contexte a permis de raconter cela. Cela faisait des années que je tournais autour du sujet mais j’avais un peu peur, je ne savais pas comment l’aborder. Et puis je ne voulais pas être celui qui a fait une BD sur les Arabes parce qu’il a un nom arabe, d’être l’Arabe de la BD. Inconsciemment, je n’étais pas prêt à assumer ce positionnement. Maintenant ça me dérange plus, mais je ne voulais pas commencer de cette manière.

EF : Votre famille a-t-elle lu L’Arabe du futur ? Avant sa diffusion ?

RS : J’ai écrit ce premier tome sans regard ni aide de ma famille, mais leur réaction sera utile à la rédaction des prochains tomes, mais je ne veux rien dévoiler.

EF : En attendant le prochain tome de L’Arabe du futur, vous venez de sortir le quatrième tome de Pascal Brutal, le roi des hommes. Qui est donc Pascal Brutal?

RS : Pascal Brutal est l’homme le plus viril de France !

À l’époque où je l’ai inventé, j’écrivais des BD où les héros étaient toujours un peu des minables. En réaction, j’ai eu un jour l’envie de créer un personnage à la Mad Max, un guerrier solitaire, une sorte d’inverse fantasmé de moi.

Lorsque j’étais au lycée, un ami m’avait assuré qu’il fallait être seul pour avoir une chance de séduire une fille, une sorte de loup solitaire. Cela me fascinait car j’en étais incapable. Pascal est donc exactement cela . Il n’a pas d’amis, et il suffit qu’il soit à un endroit pour que les événements se produisent, ultra violence avec les hommes, séduction immédiate avec les femmes. La phéromone à l’état pur.

Ensuite, en le ridiculisant régulièrement au fil des albums, je voulais montrer que cette admiration que peuvent susciter nos idoles du collège n’était basée sur rien de réel. Je prenais un peu ma revanche.

EF : Pascal Brutal est lui aussi un héros du futur, d’un futur apocalyptique, où la géopolitique est totalement inversée ?

RS : Dans Pascal Brutal, qui se passe dans le futur, les pays arabes sont unis, très avant-gardistes. Ce n’est pas un fantasme, mais comme Pascal Brutal est dans une vision apocalyptique du futur, j’inverse les forces et donc ce monde arabe, qui ne va pas bien aujourd’hui, se porte bien, dans le futur, contrairement à la France qui, aujourd’hui, est un des pays les plus riches, et qui vit donc des moments très sombres dans Pascal Brutal.

Ce n’est ni un fantasme ni une revanche même si c’est tentant d’imaginer un monde arabe très progressiste. Je voulais me moquer de l’image qu’on a aujourd’hui du monde arabe, perdu et ultra déprimant.

EF : Et la Bretagne autonome ?

RS : Oui, j’ai une affection particulière (et compréhensible) pour la Bretagne. Et quand on pense aux indépendantistes bretons, cela ne fait pas vraiment peur, on pense folklore. Mais c’est une manière de se moquer des nationalismes, des gens fiers de leur clocher.

Quant au choix de Quimper, refuge pour les gays de France, c’était une boutade en réponse à une réaction surprenante sur le tournage des Beaux gosses. En arrière fond d’un plan, il y avait une affiche pour un festival de musique gay en Bretagne, et dans l’équipe du film, certains étaient indépendantistes bretons, et s’étaient plaints en disant que c’était humiliant pour la Bretagne. Cette réaction m’a fait rire alors je me suis vengé dans le futur, en quelque sorte ! Et c’était un alibi pour parler de la manif pour tous.

J’utilise mes BD pour parler de ce qui m’interpelle.

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