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Fanny Bouffort a profité de l’arrivée du printemps pour s’installer à la Maison du Théâtre de Brest et présenter au jeune public brestois sa première création 20 à 30 000 jours, petite pièce mêlant texte, objets et vidéos, à partir d’un récit de Laurent Javaloyes, Conte du grand-père.

Entre réel et imaginaire

La comédienne nous raconte l’histoire d’Antoine, un petit garçon qui aime à se raconter des histoires, et nous fait entrer dans le labyrinthe de son imaginaire. La scène est sa chambre qui devient un vaste laboratoire d’expérimentation ludique. Il s’amuse tout d’abord avec un puzzle représentant la mer, puzzle qu’il n’arrive pas à organiser tant les pièces paraissent mal ajointées. Qu’à cela ne tienne, il trouve autre chose pour s’occuper : une carte routière attise sa curiosité. La comédienne se cache à ce moment-là derrière l’immense carte dépliée pour ne laisser apparaître que ses mains qui prennent le temps de glisser tout autour de la carte : Antoine semble être dans la fascination la plus totale. Puis, de fil en aiguille, le petit garçon trouve ses caisses remplies de voitures rouges. Une idée surgit : il imagine qu’un savant fou vient d’inventer des voitures rouges pour que toute la population d’une ville très pauvre puisse atteindre cette mer lointaine qui prodiguerait richesse et immortalité. Des extraits de films en super 8 projetés sur la caisse à jouets donnent à penser que le bonheur est familial et qu’il est là-bas : sur la plage, à s’éclabousser dans les vagues… Nous assistons alors à l’assemblage des petites voitures comme dans une véritable usine où le bras de la comédienne devient un bras mécanique apte à percer et à monter toutes les pièces jusqu’à l’assemblage final. Les voitures sont ensuite lancées à vive allure à la poursuite de la ruée vers la richesse et le bonheur. Mais Antoine décide de rester, et ses parents, se dit-il, sont partis sans se rendre compte qu’ils l’ont oublié. Mais pour combien de temps ? car la durée du voyage est une énigme.

Entre rêve et cauchemar

Un jour, Antoine rencontre le fameux savant fou qui, au seuil de la mort, lui demande d’arrêter la folle course des habitants vers la mer. Il lui révèle la clé de l’énigme qui est un cauchemar : le voyage n’est ni court ni long, il dure toute la vie, il est la vie. Et la mer qu’ils verront, ils n’en profiteront jamais. Antoine, au volant de la voiture la plus rapide, fait du mieux qu’il peut. Il découvre alors le cimetière marin des voitures qui recouvrent désormais toute l’étendue de la mer et tente désespérément d’arrêter les voitures circulant à vive allure. Mais en vain. Alors prise entre les phares de plusieurs véhicules, la comédienne semble exécuter une danse macabre dans un dernier tableau très épuré. Antoine ne peut faire plus : il ne parvient pas à pénétrer le monde des adultes et finit par arriver, lui aussi, au bout de son voyage.

Une réflexion sur le temps qui passe

Fanny Bouffort fait de ce conte en apparence simple une fable universelle et interroge, par l’intermédiaire de son personnage, l’existence et plus particulièrement le temps qui passe. Jamais la formule d’Héraclite ne trouvera de plus belle illustration : « le temps est un enfant qui joue au tric-trac ; son royaume est celui d’un enfant ». D’ailleurs, les deux gros réveils que nous voyons sur scène sont pour l’un le compte des jours que nous avons vécus et pour l’autre le décompte de ceux qui nous restent à vivre. Le temps poursuit son avancée inexorable et plus nous approchons de la mer, plus la mort se rapproche. On ne voit d’ailleurs pas le temps passer lorsque l’on assiste à la représentation et on hésite même à applaudir à la fin : le jeu d’Antoine est-il vraiment fini ? Fanny Bouffort joue ainsi à varier le rythme de son récit. Les ellipses sont, d’ailleurs, nombreuses au cours de la représentation et on découvre avec surprise qu’Antoine a vieilli (Pour de vrai ? Pour de faux ? Est-ce l’enfant qui s’imagine vieux ? Ou Antoine devenu vieux qui est resté un enfant ?). Et quand le savant fou disait que le temps du voyage était inconnu, c’est parce qu’il est propre à chacun d’entre nous : certains parviendront jusqu’à la mer, d’autres s’arrêteront bien avant. De 20 à 30 000 jours, voilà la durée moyenne d’une vie…

Petits et grands trouvent forcément leur compte dans ce spectacle à double niveau de lecture. Les petits sont fascinés par ces centaines de petites voitures rouges qui roulent vers l’inconnu. Quant aux grands, ils ont de quoi méditer sur leur vie. En ce début de vacances, profitons un peu de ce temps précieux qui nous est donné pour ralentir le temps et en profiter avec nos enfants avant la reprise des classes !


Crédit photographique : la Maison du Théâtre (Brest).

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