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Le Stella accueillait, vendredi 2 décembre, en clôture du Festival Grande Marée, Adèle Zouane pour un spectacle décoiffant ! Mais avant de commencer, quelques instants de silence. La comédienne est face à son public, son regard est à la fois charmeur et rieur, la séduction opère d’emblée. On sait que l’on va passer une bonne soirée en sa compagnie. D’ailleurs, ne dit-on pas que tout est décidé dès le premier regard ? De séduction, il en sera question pendant toute la représentation : de la cour de récréation jusqu’aux soirées estudiantines. Dans ce one-woman show épistolaire, Adèle Zouane nous dévoile toute sa vie amoureuse et même ses déboires, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les amoureux sont nombreux : Rémi Rubière, Maxime Pontier, Bastien Gasquet, Kévin, Moustique, Alexandre… Mais ce que fait la comédienne avec talent, et toujours avec humour, c’est de saisir très subtilement les caractéristiques de l’amour à des âges variés.

« Le vert paradis des amours enfantines »

Qui ne se souvient d’avoir eu plusieurs amoureux en même temps à l’école primaire et de les avoir classés par ordre de préférence ? Même « aimer un peu » avait sa valeur. La comédienne nous permet de retrouver pendant quelques instants un pays qui nous est désormais lointain et que Baudelaire appelait « le vert paradis des amours enfantines, […] l’innocent paradis plein de plaisirs furtifs », âge tendre où aimer est encore un jeu comme un autre et où l’amour n’est pas exclusif. Dans une lettre qu’elle avait écrite à un de ses amoureux, Adèle Zouane avoue ne pas avoir peur de dire « je t’aime ». Avec sa robe et ses socquettes, la comédienne a l’énergie d’une petite fille et son innocence retrouvée. L’identification fonctionne d’emblée : comment ne pas projeter alors sur les murs restés nus de la scène nos souvenirs de cette époque ?

Le dépucelage de la langue

Adèle grandit et entre au collège. Frontière symbolique où le « dépucelage de la langue » est obligatoire et devient une obsession. La pression sociale semble en être une des raisons : il faut faire comme les autres. Adèle Zouane se confie : c’est à partir de ces années-là qu’elle a commencé à mentir. Et oui, il fallait bien que ses camarades pensent qu’elle avait multiplié les conquêtes, sinon, la honte sur elle ! Avec beaucoup d’autodérision, la comédienne met en scène son premier baiser lors d’une colonie de vacances et nous mime ce qu’il fut. Langue sortie, dansant langoureusement sur « Ti amo », elle échange avec son partenaire un bonbon Arlequin. En nous donnant le goût de ce baiser, on ne doute pas qu’il fut inoubliable ! Mais la façon qu’elle a de raconter son deuxième baiser l’été suivant est encore plus drôle. C’est un baiser cinématographique digne d’une des plus grandes séductrices hollywoodiennes – baiser qu’elle qualifie de « pelle super sexy ». Il faut dire qu’Adèle Zouane s’est formée en regardant des films d’amour pendant toute l’année scolaire et elle met en pratique ce qu’elle a appris. Nous détaillant par le menu sa gestuelle et ses mimiques, on se dit un instant qu’elle aurait pu écrire un traité sur l’art du baiser. On ne doute pas que c’est gagné pour elle ! Mais elle retombe vite sur terre, éconduite par un petit macho que ses camarades épiaient probablement. Et dire qu’il faudra supporter pendant deux semaines les railleries…

Le dépucelage tout court

Une fois enclenchée, la pression du groupe ne peut que s’accentuer. Aussi Adèle sera-t-elle la première à annoncer à ses amies sa première nuit d’amour. D’ailleurs, nous ne pouvons que saluer l’efficacité de la mise en scène. Une simple barrette que la comédienne détache de ses cheveux nous laisse comprendre ce qui s’est passé cette nuit-là.

Mais la pression sociale pèse tout autant sur les garçons. Adèle Zouane est en seconde et tombe amoureuse du beau Sylvain. Ils se fixent enfin rendez-vous en dehors du lycée et trouvent une petite église où ils sont seuls. La scène est bucolique. En nous décrivant très précisément ce qu’elle ressent, on se surprend à tressaillir à sa place. Mais comme toujours, les choses ne se passent pas exactement comme elle le voudrait. L’artiste prend alors un malin plaisir à démultiplier les détails avant de nous dévoiler la chute. Alors qu’elle est « les yeux dans les yeux et la bouche dans la bouche » avec Sylvain, celui-là s’évanouit et tombe à ses pieds. Boum ! Éclats de rire dans la salle. Est-ce le baiser qui était sur le point d’être échangé qui a fait tomber en pâmoison le jeune prétendant ? ou est-ce la trop forte pression qui pesait sur ses épaules ? La mère d’Adèle ne lui a-t-elle pas dit, avant le rendez-vous galant, qu’il fallait laisser les garçons faire le premier pas ?

Entre amour et désir

L’éducation sentimentale n’est pas encore achevée. Jusqu’à présent, tout n’a été qu’amour. Alors qu’elle a rejeté Sylvain et qu’elle sort désormais avec Victor, Adèle Zouane se sent très attirée par un certain Lobsang qu’elle vient juste de rencontrer lors d’un week-end entre amis et dont elle ne peut cesser de masser le cuir chevelu. Elle fait alors l’expérience du désir. Très vite, une tension entre amour et désir va se faire sentir. Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que le désir ? Est-ce que le désir peut être plus fort que l’amour ? Le désir l’emporte à tel point qu’Adèle Zouane finit par faire tomber les clichés en exhibant le sien qu’elle n’arrive pas à assouvir. Le taux d’hormones est à son maximum ! Elle serait même prête à « se faire une chaise » ! Quelle audace de s’affirmer ainsi sur scène, allant jusqu’à dévoiler sa poitrine dans un moment de quasi-folie !

Mais reprenons notre calme, le ton devient sérieux : une même question revient pendant toute la représentation. Qui est l’homme de sa vie ? La dernière lettre lue par Adèle Zouane lui est adressée. Comme dans le mythe d’Aristophane, après avoir essayé plusieurs moitiés, elle n’aspire qu’à une seule chose : trouver le bien-aimé qui lui convient vraiment. Écrire l’aide à attendre car elle sait au fond d’elle qu’Éros la guidera vers celui pour qui elle est vraiment faite.

C’est avec beaucoup d’espièglerie et de talent qu’Adèle Zouane nous donne à voir le processus qui a fait d’elle une femme émancipée. On devrait se l’arracher pour les fêtes de fin d’année !


Crédit photographique : la Maison du Théâtre (Brest)

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