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Cette nuit-là immergée dans un ciel froid et pluvieux, la Carène s’était vidée de quelques auditeurs : la soirée « méchante » du festival Invisible, sur le port de Brest, le samedi, attirait moins de monde que la soirée « gentille » de la veille. Après la belle veillée musicale du vendredi, le public se réchauffait tranquillement devant la petite scène de la salle dédiée aux musiques actuelles, dans une ambiance calme de prime abord, pour une soirée méchante qui, ne l’oublions pas, selon l’aguiche des organisateurs, se devait être « un peu gentille quand même ». 

Après l’avant-garde expérimentale de Père Ubu, Jessica 93 est monté sur scène. De l’adolescente qui aurait pu se cacher derrière ce pseudo, tout droit sorti d’un tchat Internet, il n’y avait rien. Geoffroy Laporte n’est devenu Jessica 93 qu’à l’âge de trente ans, en 2010, quand il s’est lancé seul dans l’univers du rock « do it yourself », avec un son à ranger quelque part entre The Cure et The Soft Moon.

Son nom sitôt cité dans les conversations brestoises, quelques jours avant le festival, entre amateurs de la scène rock et underground, les yeux s’éclairaient, la parole se libérait : Jessica 93 était attendu à la Carène, très attendu. Cette dark pop, il en est l’une des plus fortes incarnations actuelles, encensé par toutes les critiques (Les Inrocks, New Noise, Magic, The Drone…). Freak excentrique, héros discret, il l’est par sa volonté d’embraser la scène en toute simplicité, sans fioritures et sans prétention, avec une musique pourtant totalement hybride.

Car son projet solo, il l’a toujours pensé comme émanant d’une formation, jouant sur scène avec une boite à rythme, une guitare, une basse et une pédale de boucles qu’il superpose sous sa voix. Un son qu’il décrit lui-même ainsi : « la distorsion sur la basse façon grunge », que l’on pourrait ajouter magnétique, frôlant l’envoûtement, « les guitares aiguës à la Steve Albini et la boîte à rythmes qui sonne comme une grosse batterie ». Sans oublier les riffs dantesques et son chat noir dans la gorge, saisissant, bondissant dans l’obscurité dès les premières notes !

Après la sortie de « Rise », sacré meilleur album de l’année 2014 par le magazine Noise Mag, le cow-boy solitaire aux mèches folles (qui lui valent l’inévitable comparaison avec Kurt Cobain) s’est depuis peu entouré de deux acolytes. Ils forment ensemble un trio qui n’entrave en rien le son initial, sombre et diabolique, de Jessica 93. 

Inspiré par Nirvana (en tête), The Cure, Pixies, The Stone Rose ou encore Metal Urbain (l’un des tout premiers groupes de musique punk français), ainsi que par le rock indie de Jesus Lizard et Big Black, Geoffroy Laporte, accompagné de ses deux comparses musiciens, a proposé, à Brest, une version bien à lui de rock alternatif mêlant cold wave, shoegaze et noisy pop nostalgique. Une entrée dans un univers cataclysmique, teinté de maudit et de headbanging : la salle de concert de la Carène était électrifiée en quelques fulminantes chansons.

Cette nouvelle mouture de Jessica 93 a laissé apparaître, au fil des mélodies, trois leaders avérés, trois manières singulières de faire résonner des notes pour produire une musique finalement détonnante. Cette nuit-là, immergée dans un ciel froid et pluvieux, la Carène est restée debout, fascinée par le chaos musical de Jessica 93. Une musique brumeuse qui remue l’estomac et assomme comme une belle gueule de bois.   

Crédits photo: 

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Mélanie Le Goff

About the Author

Journaliste. Adepte de festivals et de concerts de tout genre, elle écoute beaucoup de choses (Dalida, en particulier) mais n’aime pas tout. Elle écume surtout les soirées brestoises pour rencontrer celles et ceux qui y apportent des vagues. Et discuter avec eux de musique, de littérature, de photographie, de cinéma ou, après tout cela, bien entendu… de Dalida.

 

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