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Le collectif OS’O, comme « On s’organise », a proposé au Quartz, fin septembre 2016, une adaptation théâtrale de L’Assommoir. De ce roman où tout va mal et de mal en pis, le collectif, sous la direction du metteur en scène David Czesienski, propose une réécriture étonnamment comique. Comment le destin de Gervaise peut-il inspirer le rire ?

 

Comment vous, qui venez d’une école de Bordeaux, avez-vous croisé la route de David Czesienski, qui est un metteur en scène allemand ?

Avec l’école que nous avons fréquentée à Bordeaux, l’ESTBA (l’école supérieure de théâtre de Bordeaux, Aquitaine, ndlr.), nous avons fait un voyage d’études à Berlin et l’avons rencontré, ainsi que Dominique Pitoiset, le directeur du Grand Théâtre de Bordeaux, qui était avec nous. David Czesienski était à la recherche d’un projet, Dominique Pitoiset lui a proposé de produire ce spectacle. On l’a créé en 2011, et ce soir (29 septembre 2016, ndlr) c’était la cinquante-et-unième représentation.

L’Assommoir est une adaptation pour le théâtre d’un roman volumineux. Comment avez-vous procédé pour la réaliser ?

La méthode que David a travaillée lui vient d’Allemagne, et il l’a mise en place à l’école de mise en scène berlinoise Ernst Busch, où il a étudié. L’Assommoir est le premier spectacle qu’il a monté en l’utilisant.

Il a travaillé un résumé du roman, chapitre par chapitre, et nous avons proposé des improvisations autour de chacun d’entre eux, dans le cadre du bar où trois couples passent la soirée. À partir de cette matière première, il a écrit un texte, où d’ailleurs, les mots de Zola prennent de plus en plus de place.

Cette méthode nous a permis de nous appuyer sur une œuvre pour raconte autre chose, produire un texte philosophique, politique, un essai. Le roman de Zola est un prétexte, et nous avons cherché à sortir l’essence de ce qu’il raconte. 

crédit photo: Frédéric Desmesure

Le spectacle est porté par ces trois couples qui jouent et racontent l’histoire de Gervaise : pourquoi ce choix d’un jeu dans le jeu ?

Nous, on appelle ça des niveaux de jeu. L’idée est de raconter L’Assommoir aujourd’hui, de montrer comment il peut résonner au XXIè siècle, de parler de la misère d’aujourd’hui en utilisant Zola.

Les trois couples racontent l’histoire de Gervais comme une légende urbaine que tous connaissent. Nous utilisons la distance pour ensuite nous mettre à ressembler aux personnages. C’était aussi un moyen qui ne soit pas classique de raconter une histoire célèbre.

Ce dispositif permet aussi de répondre à la volonté d’avoir chacun une partition égale, puisque chaque acteur joue tour à tour les différents personnages du récit. Nous six constituons comme un chœur, et chacun de nous a une partition qui lui permet de prendre du plaisir à raconter l’histoire. C’est très agréable de jouer un personnage qui joue un personnage.

Le milieu d’où viennent ces trois couples est assez populaire, c’est un parallèle direct avec l’histoire racontée par Zola ?

Tout à fait : Gervaise écoute de la musique américaine des années 50, mais l’action est située à une époque qui n’en est pas vraiment une. On voulait plus généralement figurer une époque pleine d’espoir où tout est possible, et où finalement, elle fait une longue chute et où on voit qu’il est difficile de réussir.

C’est nous qui avons apporté la chanson de Johnny Halliday « Que je t’aime », car David n’avait pas cette référence. La chanson de Balavoine a, elle, été ajoutée récemment, également en référence à la culture populaire. Mais nous avons choisi de décaler ces musiques pour ne pas avoir d’effet kitsch.

Les costumes ont aussi contribué à cette contextualisation. Ils permettent de créer des silhouettes, mais donnent aussi des indices renvoyant à une classe populaire atemporelle.

crédit photo: Frédéric Desmesure

Le jeu avec le public est-il une de vos marques de fabrique, ou avez-vous fait ce choix spécifiquement pour cette pièce ?

De manière générale, on aime bien considérer le public, et on a mis en scène des petites formes spectaculaires où on va le chercher. Dans Timon / Titus, on ouvre la pièce par un prologue adressé puis on fait tomber le quatrième mur. Actuellement, nous travaillons sur un spectacle jeune public, et le récit est adressé.

On apprécie de chercher comment troubler les codes.

Dans L’Assommoir, l’adresse est très directe et très concrète, mais ça s’est imposé assez tard, puisqu’au début des répétitions, on jouait avec un quatrième mur. Le spectateur était en position de regarder un groupe de six personnes dans une boîte. Mais une fois que nous avons effectué le premier filage dans le décor, qui a été construit au TNBA, cela ne fonctionnait plus du tout ! Le spectacle a pris tout son sens quand on a décidé que les spectateurs étaient les autres soûlards du bar et qu’on était dans la même pièce.

On a donc trouvé le spectacle une semaine avant la création. Quand le metteur en scène a proposé de tester ce dispositif, de nombreux changements sont intervenus. En une semaine, on peut changer beaucoup de choses, et jusqu’au dernier moment.

Au fil du spectacle, vous l’avez dit, le texte de Zola lui-même devient de plus en plus présent : pourquoi cette progression ?

Nous avons pris cette décision avec David, lorsque nous nous sommes demandé comment faire entendre la parole de Zola, magnifique et d’actualité. On raconte d’abord l’histoire de Gervaise, ce qui permet d’avoir une entrée facile, puis on se raccroche aux mots du roman. Nous n’avons pas beaucoup eu besoin de l’adapter, car il est en lui-même très théâtral. Zola croque remarquablement bien les gens en peu de phrases. La scène du banquet est tout simplement géniale et dire le texte d’origine est incroyable.

Pourquoi le parti pris du comique, y compris dans la déchéance tragique de Gervaise et Coupeau dans le dernier quart de la pièce, y compris dans les séquences sur l’enfant battue ?

À la base, c’est une soirée, une fête. Comme dans la vie de quartier de la Goutte d’or, tout semble bien se passer, mais peu à peu, on sent que derrière, ça grince. On continue la soirée, mais ça grince encore. On ne cherche pas à être comiques et l’ambiance de soirée se décale, et on s’obstine à raconter l’histoire jusqu’au bout, avec l’idée, également qu’il y a pire ailleurs.

Le détour cynique faire entendre encore plus fortement la déchéance de Gervaise, et l’humour devient un outil de torture. À la fin, on n’a plus envie de rire, et on est poussés jusqu’au delirium tremens

crédit photo: Frédéric Desmesure

Cette scénographie dans laquelle les comédiens sont toujours à vue doit elle-même être éreintante.

Pour les comédiens, c’est à la fois fatiguant et génial car on ne lâche jamais. Le dispositif choral augmente cette envie qui nous anime de raconter l’histoire. Dans cette boîte, on se sent aussi comme des petits rats de laboratoire, qu’on va observer et qui vont dépérir en sombrant dans l’alcool et l’outrance.

Le décor est très neutre.

Il figure aussi une grande page blanche où tout est possible, une boîte à jouer qui permet plein de choses. Nous voulions qu’il n’y ait aucune image sauf celles qui naissent des mots. Le décor rappelle aussi la cellule de fous de Coupeau.

Mais c’est aussi un décor qui n’en est pas vraiment un : on voit les béquilles, on sait qu’on est au théâtre.

Pourquoi ce choix de vous constituer en collectif ?

C’est à la fois un choix idéologique et un choix de la nécessité. Après l’école, nous sommes restés à Bordeaux, et nous sommes lancés dans des projets indépendants, jusqu’à se rendre compte qu’en les regroupant, on serait plus forts. L’idée était de se créer du travail de manière à ne pas être dans l’attente du coup de fil, mais aussi d’être partie prenante dans les décisions et les choix d’un projet, pour ne pas être simplement des interprètes. De cette manière, dans les moments de creux, on peut travailler ensemble, créer des laboratoires.

Le collectif nous prend beaucoup de temps mais on garde aussi la nécessité de se nourrir ailleurs et on invite toujours d’autres acteurs dans nos projets. Pour le prochain spectacle, Pavillon noir, on invite des auteurs pour une grande création collective.

Il faut dire que les comédiens qui jouent avec nous sont souvent des camarades de promo, ce qui permet d’aller très loin. On a la même formation, cela apporte une grande facilité, on sait où on veut aller. Mais on cherche à ne pas rentrer dans des habitudes de jeu et à les dépasser. 

Quels sont vos prochains projets ?

La semaine prochaine (DATE), nous créons Mon Prof est un troll (http://www.collectifoso.com/mon-prof-est-un-troll/), de Dennis Kelly. C’est une petite forme pour écoles, médiathèques, destinée aux 8-12 ans. Cinq acteurs du collectif y participent.

Et pour janvier 2018, nous préparons Pavillon Noir (http://www.collectifoso.com/pavillon-noir/) avec le collectif d’auteurs Traverse sur le thème de la piraterie.

http://www.collectifoso.com/presentation/

Natalia LECLERC
About the Author

Notre agrégée de lettres passe en revue tous les articles, les relit, les corrige. Elle écrit pour différentes revues des articles de recherche en littérature et sciences humaines et s'appuie également sur ses multiples casquettes pour développer les partenariats du Poulailler, en russe, en français, en italien... Natalia pratique le théâtre amateur et bavarde à longueur de journée (en russe, en français, en italien...).

 

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