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La tournée européenne d'Half Japanese a fait escale, à Brest, au festival Invisible. Ce groupe, au parcours artistique influent en 40 ans, est un fer de lance du rock indé US et du Do it yourself. Emmené par Jad Fair, il a "libéré" des musiciens comme Sonic Youth, Yo la Tengo, Teenage Fanclub etc. Leur musique est une sorte d'art brut, bricolée avec une énergie positive "qui fait rebondir au mur et hyperventiler", dixit Kurt Cobain.

L'inspiration de Jad Fair est un flux continu, à la faveur des bonheurs de la vie et d'une extraordinaire imagination. Un ADN mi-naïf mi-génie. En art, il manie des formes simples d'une apparente simplicité accumulant des scènes légères et grinçantes avec habileté, ironie et humour. Son charisme irradie ce combo de quinquas doux-dingues, qui semble prendre un grand plaisir à se retrouver en studio pour donner vie à leur complicité musicale. Et sur scène pour s'amuser avec le public. Leur album Overjoyed porte un retour sur ce ton.

Rencontre avec le mythique Jad Fair, sexagénaire au regard étrange et complice à la fois. Rejoint par sa séduisante "fratrie": Gilles-Vincent Rider (Suisse) à la batterie, Mick Hobbs (GB, Londres) John Slugget (USA, Caroline du Nord) aux guitares, Jason Willet (USA Baltimore) à la basse. Enjoy!

Half-Japanese, par Ray Flex

Marguerite Castel : Depuis bientôt 40 ans, vous écrivez et composez des chansons d'amour et des "chansons montreuses". Quels sont vos amours, qui sont vos monstres?

Jad Fair: J'ai fondé Half Japanese en 1974, au Texas, avec mon frère et seulement deux guitares noisy, nous jouions une musique très bruitiste. Depuis 1990, et le départ de mon frère, plusieurs musiciens ont rejoint le groupe avant qu'il ne se stabilise avec Gilles, Mick, John et Jason. C'était avant internet, nous nous sommes connus par le bouche-à-oreille, de réputation, en nous adressant des cassettes. C'est une belle histoire. Nous nous sommes retrouvés en studio dans une petite ville d'Allemagne proche de la frontière tchèque pour jouer comme des fous, ça a duré trois jours et ça a donné des colonnes de morceaux. Nous avons alors évolué vers des sonorités différentes, des compositions un peu plus structurées, éloignées du punk. Nous sommes toujours ensemble.

Je ne sais pas d'où vient mon inspiration, cela se fait très rapidement, d'un jet. Je ne cherche pas, les idées arrivent toutes seules. Je raconte des histoires surnaturelles, de science-fiction, avec des bonhommes, des fantômes, des tigres, des monstres tels que King Kong, Dracula ou des aliens de l'espace qui évoluent dans des petits films amusants.

Votre dernier album Overjoyed est perçu comme "effrontément positif et étonnamment accessible". Est-ce votre état d'esprit actuel, ne serait-ce pas une méthode Coué?

L'accessibilité dépend de ceux qui écoutent. Un groupe comme U2 est très populaire mais n'est pas accessible pour moi. Leur musique ne me parle pas, je ne la ressens pas. Depuis toujours, la musique d'Half Japanese est "enjoyed", c'est notre état d'esprit spontané, naturel, sans intention de produire quelque chose mais juste l'envie d'exprimer. C'est ce qui nous rapproche du Lo-Fi. Lorsque nous sommes en studio, nous composons jusqu'à six chansons par jour. Je suis très heureux de cet album car nous sommes en cohésion. Nous ne sommes pas seulement un groupe mais des êtres qui partageons beaucoup d'émotions ensemble.

Des chansons comme Our Love et Brave enough sont plus chaloupées, vous évoluez davantage vers ces sonorités enjouées?

Oui il y a des sonorités qui se rapprochent des guitares africaines. Nous aimons tous des musiques très différentes mais nous ne sommes pas influencés par les modes. Nous exprimons ce que nous ressentons, il n'y a pas d'ironie ni de sarcasme de notre part. Ce "positivisme" vient des paroles il me semble, ce sont des histoires qui aiment la vie, l'amour et les monstres gentils.

Our love est une chanson d'espoir. C'est d'ailleurs Jason qui l'a écrite (ndlr : la plupart des morceaux sont écrits par Jad Fair), il y a quelques années, il était particulièrement triste, le cœur brisé en rentrant d'Australie. Il l'a proposée un jour en studio au groupe et c'est un morceau qui est devenu très enjoué et que nous aimons.

Nos textes ne sont pas politiques, nous n'écrivons pas d'après des faits-divers. Mais plutôt à la faveur de la vie, d'un environnement qui nous plaît. Je vis dans la campagne humide au Texas, avec une femme que j'aime, deux chevaux et quatre chiens...

Tout ce qui est négatif dans la vie, nous ne le retenons pas. La violence du monde ne touche pas notre fibre artistique. Ce n'est pas commun dans le rock'n roll, c'est vrai, tout le monde n'exprime pas cette humeur constante que nous avons.

Le clip d'Our Love est un film d'animation de vos papercuts, inspirés de découpages mexicains. Est-une activité artistique à part entière pour vous?

Oui car je vis davantage de mes créations artistiques que de la musique. Vous pouvez d'ailleurs voir une série de ces papercuts exposés à Brest, à Badseeds Records dans le quartier Saint-Martin. Tout cela est fait avec beaucoup d'humour. Comme dans une histoire de gamin, il y a un alien qui sort d'une soucoupe volante et qui flingue un bonhomme tout sourire. C'est un rêve dans lequel il y a beaucoup d'insouciance, loin de la réalité.

Nous jouons de la musique avec cette même naïveté, ça fait du bien. On s'amuse beaucoup. On aime donner, on se fait plaisir. Même si on se plante un peu sur scène, ça arrive, on prend ça avec le sourire et le public aussi. C'est un jeu!

Quel genre de tournée vivez-vous avec cet album sorti chez Joyfulnoise?

Nous n'en sommes qu'à six ou sept concerts pour cette tournée. Cela offre toujours de belles rencontres, comme ici à Brest. Nous sommes venus jouer il y a huit ans pour ce même festival Invisible et à chaque fois on s'y sent bien. On enchaîne sur quelques jours de studio à Cherbourg puis des concerts à Madrid, Hambourg, Anvers et on termine à Paris (festival BBMix). On n'a pas le temps de capter vraiment ce qui s'y passe.

Aux États-Unis, on fait peu de scène, c'est plus difficile, les villes sont très éloignées les unes des autres. Le public demandeur de concerts habite sur la côté Est ou la côte Ouest, entre les deux il ne se passe pas grand chose. Le système est très monétisé. Pour exister, un groupe doit signer sur une Major. Sinon il joue dans les cafés; il n' y a pas d'entre deux.

On a fait la première partie de Kurt Cobain en 1993 (ndlr : il portait un tee-shirt à l'effigie d'Half Japanese lorsqu'il est mort) mais ça n'a pas poussé plus que ça notre carrière en scène, alors que nous avons beaucoup de fans sur internet aujourd'hui. En fait c'est culturel, aux États-Unis, il n' y a pas d'engagement de la part d'un tourneur pour faire tourner un groupe comme ici. Vous avez également de l'argent public pour soutenir la musique.

Nous avons une meilleure audience en Europe et au Japon, un bon public en Écosse (Glasgow), en Allemagne et en Espagne. Nous avons d'ailleurs une maison de disques à Londres (Fire Records) et une autre aux États-Unis (Joyfulnoise Records). Nous avons deux faces, l'une européenne et l'autre américaine comme sur un disque.

Avez-vous toujours des relations musicales avec Daniel Johnston?

Depuis pas mal d'années nous nous croisons au gré de collaborations diverses, j'ai enregistré deux albums avec lui, j'étais fan de sa musique. Il a aussi joué dans quelques morceaux de notre répertoire. Il y a quatre ans, nous avons rejoué ensemble à Paris et à Nantes puis partagé la même affiche d'un festival il y a deux ans. Nous avons toujours des contacts mais on ne sait jamais avec ce musicien, ce n'est pas toujours simple d'enregistrer avec lui.

Votre agenda studio semble bien rempli, quels sont vos projets ?

On sort un prochain album en janvier 2016 chez Joyfulnoise dont le titre sera Perfect. Les orchestrations seront superbes mais elles ne sont pas encore arrivées jusqu'à la scène.

La sortie d'un autre album est prévue en octobre 2016, cette fois chez Fire Records. Puis un autre encore est dans les cartons pour 2017. On passe en studio souvent, on est prolixe, on produit beaucoup et après on choisit. On affine aussi chacun de notre côté, chez nous. On doit encore travailler des morceaux enregistrés au studio de la Trappe à Toulouse l'été dernier, où il y a un très bon son, car il enregistre sur bandes avant de transférer sur digital.

J'écris beaucoup, j'aime travailler, je dors cinq heures par nuit. Certains artistes cherchent l'inspiration, moi non, je suis musicien, c'est mon job, comme un docteur fait le sien, c'est normal. Tout est sujet à composition. Le nom du groupe Half Japanese est aussi comme ça, sorti d'un chapeau, de deux mots posés sur des morceaux de papier assemblés. Un heureux hasard.

Half Japanese sera en concert, samedi 28 novembre, à Boulogne-Billancourt au festival BBMix

Crédits :

Photographie : Ray Flex

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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