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Une chronique à la première personne, parce qu’en sortant du Quartz dimanche 8 novembre, j’ai éprouvé une sensation bien étrange, celle d’assister à un concert pour lequel j’étais le seul spectateur.

Pourtant, en entrant, j’ai bien vu mes neuf-cent-quatre-vingt-dix-neuf voisins de siège. Je les ai vu et entendu s’asseoir, papoter, s’embrasser, rire, faire un signe au copain que l’on n’aurait pas pensé trouver là, s’excuser platement de devoir faire lever une demi-rangée de jambes pour atteindre le fauteuil du milieu, envoyer un dernier texto avant le noir complet, puis ranger rapidement le flyer présentant les artistes. Pas de doute, je n’étais pas seul, puisque le Quartz bourdonnait. Et pourtant, lorsque tout fut – enfin – éteint, une voix m’a parlé, à moi tout seul. Je le sais bien, puisque qu’elle était juste à côté de mon oreille. C’était du portugais, je crois, et bien que je ne comprenne pas un mot de portugais, tout ce qu’elle disait me semblait parfaitement évident. Lorsque Dom La Nena s’est installée au violoncelle, suivie de peu par Rosemary Standley chantant la Passacaglia della Vita de Stefano Landi, j’ai bien vu que c’est moi qu’elles mettaient en garde, d’un ton léger et tout en souriant. "Souviens-toi que bisogna morire, rien n’y fera, ni la médecine, ni le courage, ni la science. Et puisqu’il faut mourir, chantons!"

J’ai donc assumé l’inévitable pour mieux l’oublier et me plonger avec ces deux femmes dans l’immense plaisir d’une musique épurée, déliée, évidente et vibrante. Aucune montagne ne semble trop haute à franchir pour elles, qui revisitent avec une déconcertante simplicité des musiques du monde entier et de tous les temps, de Henry Purcell à Leonard Cohen en passant par Tom Waits et Monteverdi, de la Réunion à l’Argentine en passant par l’Italie.

Il serait vain de tenter d’expliquer la magie, la grâce mêlée de force de ce concert et de l’album Birds on a Wire, mais les ingrédients principaux de la recette sont somme toute assez simples.

Il y a tout d’abord la voix chaude, folk, au timbre indéfinissable de Rosemary et celle, limpide, espiègle et douce, de Dom (je peux bien les appeler par leur prénom puisqu’elles sont venues pour moi). Deux voix qui s’enlacent, se répondent et se complètent, au gré des humeurs et des balades.

Et immédiatement, il faut ajouter qu’il s’agit pourtant d’une musique à trois voix plus que d’un duo. Ici, le violoncelle possède une personnalité propre : une fois la base posée (en pizzicato ou à l’archet grâce à un looper), il s’envole en harmonies, s’enflamme en solos tour à tour nerveux (Blessed is the Memory), mélancoliques (Ô Solitude) ou tendres (All the World is Green). Le jeu de Dom La Nena est franc, direct, percutant et extrêmement précis, on entend le violoncelle jubiler entre ses éclisses. Il y a ensuite le travail de relecture et de réappropriation des morceaux que les deux musiciennes ont choisis, travail dans lequel on sent une formation classique assumée mais émancipée et rajeunie. C’est un vent de légèreté et de fraîcheur qui souffle sur la précision millimétrée de l’interprétation, et qui leur permet sur scène de se sentir maîtres du jeu. Ou d’assumer et de rire ensemble des quelques ratés, comme lorsque le looper se montre capricieux.

Il y a enfin une mise en scène sobre et belle, un jeu de lumières soigné et efficace, une ambiance faite d’anachronismes jusque dans les robes rouge et blanche que portent Rosemary et Dom. Et je voudrais rendre un hommage appuyé à Anne Laurin et Anne Muller au son et au lumières, pour leur travail d’orfèvre dans une salle aussi exigeante que le grand théâtre du Quartz. Grâce à elles, j’ai eu mon concert privé ; j’étais assis au milieu de la scène, j’ai tout vu, tout entendu. Même les chuchotements et les murmures les plus intimes. Bisogna morire ? Peu importe.

About the Author

Elevé dans une ambiance sonore éclectique, musicien dans l’âme plus que dans les doigts, Matthieu apprécie les expériences nouvelles autant qu’une symphonie de Chostakovitch ou une gavotte. Son approche est souvent un peu décalée, parfois technique, et s’ancre librement dans le ressenti.

 

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