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Fureter, choisir, louper, succomber... Parmi les 30 formations à l'affiche de cette seizième édition du festival de Quai Ouest Musiques, la plupart ont encore généré une grande palette d'émotions, jusqu'à la transe collective ! Les mêmes noms ne restent pas dans les cœurs de tous, c'est le jeu. On retiendra -en chronique- ceux de DaKhaBrakha, de Mulatu Astatké et de CharlElie Couture. D'autres talents des musiques du monde ont aussi imprimé ces trois jours de communion festive et artistique : Songhoy Blues, Lisa Simone, Arthur H, Toto La Momposina, Orange Blossom, Esther Rada, Faada Fredy, Jungle By Night etc.

Voyage musical dans cette prairie enchantée de la presqu'île de Crozon.

Quatuor ukrainien DakhaBrakhabrantesque

Le chapiteau de Seb est décidément le lieu des chocs durables et des coups de coeur au Boutdum. Parmi les concerts les plus enchanteurs, on retiendra celui de DakhaBrakha: une transe collective vécue dans les heures les plus avancées du dimanche soir. Une expérience sensorielle inédite, un voyage envoûtant. La musique de ce quatuor ukrainien est un savant accord de tradition et de modernité porté par des voix polyphoniques et des instruments énergiques et sensuels (violoncelle, accordéon) et des percussions africaines, japonaises... Les chants sont issus d'un répertoire ancestral de rites pré-christianiques et portés par des rythmes dubstep d'inflence hip-hop.

Une musique multi-ethnique jouée de façon innovante, symbole de l'appétit d'ouverture d'un peuple aux racines profondes élimées par les bottes de Moscou. Rien d'étonnant à ce que DakhaBrakha (donner-prendre en ukrainien) prenne une part active à la révolution de Kiev, place Maïdan, fin 2013 et conquiert les scènes d'Europe et d'Amérique du Nord, des Transmusicales de Rennes à la Californie, de Londres à la Nouvelle Orléans. Partout le public est conquis par ce militantisme artistique et médusé par cette intensité musicale qui monte qui monte...

Le quatuor s'est formé il y a dix ans, sous l'impulsion de Malko Halanevych, alors comédien, dans le cadre de performances théâtrales inspirées des pièces de Shakespeare et de l'Ukraine mystique. Cette musique pour le théâtre s'est émancipée d'année en année à force d'expérimentation, d'audace et d'un grain de folie bienfaiteur.

 

Sur scène, trois amazones des steppes donnent la mesure et le la de leurs voix profondes et cristallines. Vêtues de robes blanches, parées d'ornements slaves, coiffées de hautes toques en fourrure brune, elles s'imposent par une esthétique forte, un charisme unitaire. A leurs côtés, le chanteur-accordéoniste habillé en prêtre orthodoxe leur donne le change, complice. Le set va crescendo, une heure et demie durant, octroyant quelques respirations plus calmes au public piqué par cette énergie contagieuse, cette transe festive, à la fois introspective et libératrice. Autour de moi, quatre jeunes londoniens se lâchent avec grand bonheur ainsi que quelques séniors de la presqu'île. Je n'en reviens toujours pas, ce quatuor ukrainien touche à l'essentiel: un puissant désir de vivre. Dakhabrakhabrantesque!

DakhaBrakha sera au Quartz à Brest, le 12 décembre, lors du festival No Border.


 

Mulatu Astatké : les caresses du prince de l'Ethio-jazz

C'est toujours un challenge d'aller voir une figure majeure de la musique du monde, entre l'avidité d'émotions fortes et la crainte d'une démystification. Et c'est encore sous le chapiteau de Seb qu'on s'est laissé prendre par la majesté. Elle est incarnée par Mulatu Astatké, inventeur de l'Ethio-Jazz dans les années 70, trait vivant intercontinental entre l'Afrique tribale (Ethiopie) et l'Amérique du Jazz. Le septuagénaire multi-instrumentiste tient son rang, chef d'orchestre des musiciens de Steaps Ahead, de jeunes et talentueuses gâchettes recrutées à Londres et aux USA.

 

Le sourire malicieux et la moustache poivre et sel à la Omar Shariff (sans les cheveux), Mulatu Astatké a la prestance d'un prince. Lumineux dans une tunique blanche, gracieux et totémique. Tandis que les cuivres, les cordes et les rythmiques portent cette délicieuse fusion du groove afro-américain, il roule ses baguettes magiques sur un vibraphone avec enchantement et fluidité. L'Ethio-Jazz se nourrit des spécificités rythmiques de l'Afrique, tout en s'inspirant de modules caribéens, latinos et d'envolées mélodiques millénaires d'Abyssinie. L'Afrique demeure son ADN, même s'il n'a jamais créé de formation à Addis Abeba. Son dernier album Sketches of Ethiopia (clin d'oeil à Sketches of Pain de Miles Davis) renforce encore ses valeurs et ses recherches au coeur de l'histoire musicale de tribus lointaines qui maîtrisaient aux flûtes à bambous des principes rythmiques avant le jazz de Charlie Parker. Un métissage toujours savant, renouvelé qui plonge dans la moiteur des nuits éthiopiennes par des incantations rauques, des thèmes chaloupés et des couleurs orchestrales inédites.

Sur scène la température monte par les dissonances enfiévrées et les efficaces rengaines que met au point cet orchestrateur hors pair depuis 50 ans. Une patte qu'on lui reconnaît, une liberté toujours réinventée. Mulatu est le seul Éthiopien de sa génération à avoir étudié la musique à Londres et aux USA; il en avait rapporté un orgue Hammond et un xylophone dans ses bagages. Il est aussi l'un des rares à s'être frotté au jazz new-yorkais pendant dix ans, côtoyant notamment Duke Ellington. C'est d'ailleurs à la sortie d'un concert à Broadway que Jim Jarmush est venu le voir en 2004. Il cherchait une musique qui puisse sublimer les images du film Broken Flowers. Cette bande originale l'a propulsé vers la célébrité. D'ailleurs dès les premières notes du titre Yekemo Sew (BO du film), la magie opère sur scène, entêtant la foule qui shake, chaloupe, jubile. Le métissage s'intensifie lorsque le jeune nigérian Afrikan Boy rejoint le band sur scène avec son énergie afro-hip-hop. Ça change des concerts de jazz assis en salle! C'est bon et chaud comme des caresses.

Sketches of Ethiopia – 2013, Jazz Village Harmonie Mundi
Compilations Ethiopiques avec Mahmud Ahmed (70's), rééditées par Buda Musique

www.mulatu-steps-ahead.com


 

CharlElie Couture : la ballade frontale du mois d'août 2015

Lorsqu'un artiste ne fait pas l'unanimité, cela signifie que c'en est un, non? Ce fut un vrai plaisir de ferrailler après le concert de CharlElie Couture avec ceux qui l'ont zappé ou qui n'ont pas su prendre son vol. Le défi était haut de jouer sur la grande scène du festival après le coucher du soleil, derrière un groupe invité surprise et grossière erreur de casting. Le changement d'ambiance s'annonçait radical face à la chaude prairie de Landaoudec, «une mer d'yeux de 20 000 personnes». Décontenancée au lancement du set par le choix de la formule trio sur scène (sans batteur, ni bassiste), je me rapproche pour capter l'énergie qui se dégage et entrer pleinement dans ce rapport artiste-public frontal proposé.

Pas de décor personnalisé (ses bâches peintes), ni de projection des vidéos de sa fille Shaan... Dans cet univers dépouillé, le jeu de lumières sera l'ornement essentiel et stimulant. Faufilée dans les dix premiers rangs, je me sens en communion avec les âmes d'éclaireurs qui m'entourent. Vade retro les râleurs!

CharlElie ne donne pas dans la fantaisie, il est un chanteur et poète rock qui en impose depuis 35 ans, malgré de longues absences injustifiées sur les ondes et les colonnes et dix-neuf albums au compteur. Un artiste «multiste» qui a la chance de maîtriser plusieurs modes d'expressions avec talent (peintre, écrivain, designer, photographe). Ce que les Frenchy ne comprennent pas toujours et que les New-yorkais plébiscitent. Le Nancéen s'est donc expatrié cinq ans à Manhattan pour animer un atelier d'art contemporain.

Road movies de l'existence, blues rock jazz

En Presqu'île de Crozon, le chanteur investit pleinement la scène, guitare au poing comme un malabar du blues, massif et puissant. Des lunettes noires rehaussent sa barbichette blanche, une veste noire customisée de couturier sied aux chaussures de scènes (les fameuses Ears) bien chevillées. La conviction guide l'enchaînement des morceaux: quel répertoire depuis 12 chansons dans la sciure, Pochette Surprise, Poèmes rock, Solo Boys, Solo Girls, Les Naïves, New YorCoeur et Fort Rêveur!

La version live du dernier album ImMortel est plus cylindrée que celle délicatement arrangée en studio par Benjamin Biolay. Emmanuel Trouvé en looping aux claviers (qui assurent les rythmiques) et Karim Attoumane à la guitare font vrombir la machine Couture rock-blues-jazz bien carrossée.

Une vingtaine de chansons comme des roadmovies de l'existence. Elles rôdent dans les villes, dans les âmes, dans les nuits, dans les veines et vers les neiges éternelles. Souvent au bord du gouffre de nos émotions, «chaque journée dure une vie quand on vous oublie».

Sur le ring, CharLélie jongle entre sa guitare rock-blues et son clavier boogie, célèbre ses morceaux avec poigne et sincérité. Ses interprétations chantées-parlées, mélodiques ou suaves m'envoient des uppercutt: Méchante Envie, Oublier, Be an Artist (en référence à Lou Reed), Mifasolitude, L'Autre côté, Mon ami Pierrot, L'Histoire du Loup dans la Bergerie, L'Amour au fond, A French man in New-York et la célébrissime Comme un avion sans ailes. J'attends secrètement une poignante envolée «d'amour sur le toit en regardant les étoiles...». Cette Ballade du mois d'août 75 me tire des larmes de mélancolie et de bonheur au dernier rappel. Mes voisins de rang sortent comme moi KO de ce joli combat de l'émotion. CharlElie, je ne suis pas la seule à vous aimer encore (au moins). Il reste bien des choses de ce qui est vécu.

http://www.charlelie-officiel.com
Dernier album, ImMortel - 2014 Fontana-Mercury, Universal

Crédits : 

Photographie haut de page : Christophe Marty

Photographies contenu de l'article : Dominique Cardinal

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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