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Belinda Cannone, Nu intérieur, Editions de l’Olivier, 2015, 141p

Hanne Orstavik, Place ouverte à Bordeaux, traduction Céline Romand-Monnier, Editions Noir sur Blanc, 2014, 241p

Colette, Le pur et l’impur, Librairie Hachette, 1971

Vous aimeriez peut-être que je vous raconte l’histoire de Nu intérieur ou de Place ouverte à Bordeaux, comme ça, sur la plage, un soir où le vin coule à flot et où les surfeurs du Petit Minou ressemblent à des dieux grecs nés des paillettes du couchant.

Je vais vous décevoir une nouvelle fois.

Franchement, la story, les stories, je m’en fiche. Toutes ces histoires – introduction, drame, dénouement, merci Aristote - j’ai tendance à les oublier. Alors, me direz-vous, pourquoi ces livres-là ?

Parce qu’il me semble à travers eux voir surgir, dans leur franchise, leur intelligence et leur malice, un corps nouveau, corps de femmes assumant leur plaisir, leur indépendance, leur pudeur, bien au-delà de la perpétuelle guerre des sexes mise en scène à la télévision ou dans les magazines.

M’en ouvrant à la chanteuse Elisa Point, la belle auteure des Filles en noir éclaire ma lanterne : pour comprendre les femmes d’aujourd’hui, regarde leur grand-mère, procure-toi Le pur et l’impur, de Colette, ça te déniaisera.

Vous avez peut-être remarqué que je suis un garçon méthodique – non, non, je n’ai pas écrit psychorigide. J’achète donc illico presto cet ouvrage, désormais sur la table en bois de la cuisine, parmi d’autres gourmandises.

Publié en 1932 – Colette a alors cinquante-neuf ans – Le pur et l’impur est le livre d’une innocente dans un monde coupable, fière de ses déviances : opium, alcool, jouissance bisexuelle d’un génie femelle (sic) habitant la volupté.

Je pioche, au hasard ou presque : « Oui, je voudrais parler dignement, c’est-à-dire avec feu, de ce que je nomme la saison noble d’une passion féminine. »

Ou : « Le libertinage saphique est le seul qui soit inacceptable. »  

Ou : « La faculté féminine de prévoir, d’inventer ce qui peut, ce qui va arriver, est aiguë et mal connue de l’homme. Une femme sait tout du crime qu’elle exécutera peut-être. »

En ces domaines d’exposition lucide de l’intime féminin, l’auteur de Petit éloge du désir, Belinda Cannone, est une exploratrice hors pair. Qu’on imagine un homme, heureux en couple, mais le corps adultère, s’enivrant de sa maîtresse, ne pouvant très vite plus renoncer à son charme, finalement prisonnier de lui-même, ayant tout perdu, fors sa détresse.

Roman d’introspection, d’analyse des troubles du cœur et du corps, Nu intérieur offre au féminin le portrait d’un homme ardent, pas du tout salaud ou « vil prédateur », mais ne voulant pas mourir avant de connaître de nouveau le feu intérieur de la passion amoureuse, quand le désir conjugal semble irrémédiablement émoussé, ce qui est peut-être une loi naturelle (physiologie du mariage) contre laquelle il serait vain de s’opposer – à chacun alors d’inventer des retrouvailles de fêtes avec son conjoint, sa conjointe légitime, et de se déclarer de nouveau, comme au premier jour.

Il y a donc l’Une, l’épouse, libre, universitaire, souvent partie, Eleonore, l’amante au corps obsédant, et le tango, qui est une union libre, d’abord sans danger parce qu’on le croit codifié, métaphore de l’amour physique. C’est un péril.

 

 

«Lui : J’aime ta façon de te donner.

Elle : Je ne me donne pas, je me prête à nos jeux.»

Plus loin : «Jusqu’où cette crudité ira-t-elle ? Nous ne le savons pas. J’ai accédé (mais elle aussi je crois) à un état d’être nouveau, une disposition soudaine, un mystère. Certes, j’ai connu le désir avant elle, il a illuminé ma rencontre avec l’Une, mais il me semble que jamais je ne me suis enfoncé si loin dans – dans l’extase ?»

Une femme «qui habite son corps de plaisir» n’est-elle pas irrésistible?

Ecrit à la première personne, Nu intérieur est une plongée très réussie dans le désir et les tourments d’un homme si bien compris par les femmes qui l’entourent – elles sauront se protéger, ne pas se donner entièrement – que la solitude sera bientôt son unique compagne. Aucune leçon de morale ici, simplement le sens de la survie pour chacune.

Place ouverte à Bordeaux, de la Norvégienne Hanne Orstavik, offre une autre méditation très contemporaine sur le couple, l’adultère, et la force du désir physique, assumé par la narratrice – artiste plasticienne – jusqu’à la pornographie. Des envies d’hommes, des fantasmes, accomplis ou non, des scénarios, multiples : «Ou alors j’ai peur parce que je suis aussi elle, la femme en latex dans la cabine, parce que d’autres existent en moi dont j’ignore qui elles sont. Parce que, être avec lui, c’est mettre les autres en mouvement. Et puis je ne sais plus. Je suis dissoute, je suis nombreuse, je change et change, comme la pluie sur un pare-brise qui est essuyé et puis vient le neuf, la nouvelle pluie, tout le temps.»

Nous sommes à Venise, à Brest, à Paris, à Cahors, à Bordeaux.

Un homme vous aborde, il est séduisant.

Vous êtes femme, épouse aimante, mère exemplaire.

L’instant est au désir, à la peur, à l’audace, à la découverte.

Il a les yeux bleus, vous ne voulez pas résister.

Une parenthèse s’ouvre.

Ferme les rideaux de la chambre d’hôtel.

Nus et tremblants.

Sentiment océanique du plaisir. Des vagues, toujours plus amples.

Contractions souples.

Où êtes-vous ?

Dans un roman qui fait rougir.

La vie bat.

About the Author

Agrégé de lettres modernes, chargé de cours à l’Université Bretagne Ouest, dont les recherches concernent notamment la littérature contemporaine. Journaliste free lance.

2 Comments

  1. dancefromthemat / 24 juillet 2015 at 21 h 45 /Répondre

    Prévisiblement très joli

  2. Didier / 27 août 2015 at 16 h 04 /Répondre

    Ou quand la critique devient elle-même création littéraire, ce qui est sans doute son devoir oublié par la plupart.

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