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Au premier coup d’oeil, Arrington de Dionyso semble insaisissable tant il est touche à tout : musicien, plasticien, performeur. A la fois ange et animal selon son inspiration, il ne laisse personne indifférent et les perceptions sont controversées à son sujet. L’artiste américain portait sans aucun doute l’esthétique la moins facile à approcher durant le festival Invisible, à Brest. Eclairage sur ce chaman aux forts accents punk.

 

Il porte un nom et surtout une oeuvre largement inspirés d’un dieu de l’Olympe parmi les plus vénérés : Dionysos. Le seul dieu nomade dans la mythologie grecque, symbolisant l’extase, la transe mystique, la comédie, la tragédie. Les chants et musiques dits dionysiaques sont dissonants et syncopés… comme entendu chez Arrington de Dionyso. Il se trouve qu’il vient d’Olympia, une petite ville hippie de l’état de Washington sur la côte nord ouest des Etats-Unis. Toute similitude serait hâtive et risquée, mais quand même!

L’oeuvre de l’artiste américain est aussi très prolixe : il a enregistré depuis 1993 pas moins d’une dizaine d’albums avec son groupe Old Time Relijun, ainsi que quelques-uns sous son propre nom, d’inspiration plus free, sous le label K Records. Il maîtrise une technique vocale diphonique millénaire, joue de la guitare électrique, de la clarinette basse et de la guimbarde. Depuis quelques années, il s’aventure dans le chant de ses visions hallucinées en indonésien. Des visions qui entrent en résonance avec une œuvre graphique menée en parallèle et repérée par la maison Yves-Saint-Laurent cette année.

Son dernier projet musical collectif Malaikat Dan Singa (Les Anges et les Lions) l’a entraîné sur plusieurs scènes d’Europe et des Etats-Unis. Des concerts qui tiennent parfois de l’oracle, de la transe, du théâtre et à la fois du punk-rock. D’étranges personnages semblent l’habiter et se répondre dans ses bacchanales électriques. A Brest, il était accompagné d’Angelo Spencer à la basse pour une improvisation à la clarinette basse et au chant diphonique amplifié. Performance évoluant vers une danse tumultueuse, viscérale, quasi animale, le torse nu, mais toujours interprétée avec grâce.

Hors de cette transe, Arrington de Dionyso semble posé et très humain. L’allure dandy, un regard bleu perçant et une voix singulière lui confèrent une figure de prophète issu de la Beat generation. En l’écoutant les yeux fermés, il pourrait faire penser à un Théo Hakola et en le voyant se mouvoir sur scène à un Jim Morrison. Une perle précieuse du festival Invisible et du paysage musical underground actuel qui valait une rencontre et quelques dessins captivants à acquérir !


Marguerite Castel: Comment avez-vous mené The 24 hour drowing performance, votre création picturale et musicale réalisée au Studio Fantôme à Brest, en prélude au festival ?

Arrington de Dionyso: C’est la première fois que je venais à Brest et j’en suis très content. C’est le même genre de ville qu’ Olympia, un peu éloignée des grandes métropoles avec un esprit de culture indépendante comme ce festival. J’ai bien aimé y faire cette performance, elle a pu être bien menée dans un espace adapté par sa petite taille (25 m2), je pouvais combler l’espace en dessinant à l’encre sur le papier durant deux longs moments différents en silence et en improvisation. Je jouais un peu de musique (clarinette) sur d’autres temps. Les gens entraient voir, et selon ma disponibilité j’échangeais avec eux. Chaque performance est unique, je ne peux contrôler l’ambiance. Mais il y a toujours des anges, des dragons et des tigres dans mes dessins. C’est comme une célébration des images de mes rêves, c’est une autre langue avec beaucoup de symbolisme. J’ai commencé à faire ces performances de dessin il y a trois ans car j’étais toujours en tournée pour des concerts de musique. Je me sentais limité, j’avais ce besoin d’être en création visuelle aussi. Dessins et musique se mêlent. C’est cinesthétique. La performance est menée comme une méditation, il faut écouter les pensées qui émergent ou les ignorer. C’est pour moi un besoin de s’élever, une recherche d’extase, une libération totale.

MC: En quoi votre rencontre avec Angelo Spencer, guitariste qui vous accompagnait au concert de Brest, a fait évoluer votre musique ?

AdD: Angelo est d’origine française, nous nous sommes rencontrés à Olympia, nous jouons déjà ensemble au sein du projet Malaikat dan Singa, une structure de cinq musiciens en moyenne. Mais je fais aussi beaucoup de concerts solos en incluant des collaborations, ce qui permet d’évoluer car je cherche toujours des modes d’expression différents. Avec Angelo, c’est encore une autre structure, nous partons d’un morceau du répertoire de Malaikat, Kerasukan (sur l’album Sura Naga) et nous le faisons évoluer en improvisation. Je joue alternativement de la clarinette basse, de la flûte de bambou indonésienne, de la voix diphonique amplifiée et Angelo est à la guitare basse. Nous aimons chercher les limites de nos compositions.

MC: Quelle est cette passion pour la culture indonésienne ? Comment a-t-elle influencé la vôtre ?

AdD: C’est énorme ce que l’Indonésie représente dans ma vie artistique, j’y ai trouvé des collaborations très importantes. Malgré de fortes traditions, les êtres y sont ouverts, curieux. L’orchestre indonésien gamelan est un ensemble de gongs, de métallo phones qui est conçu sur un son unique d’ensemble. Chaque Gamelan correspond à une communauté. Ces orchestres peuvent comporter jusqu’à quatre-vingts instruments en bambou, dont certains ne fonctionnent qu’en couple et sont accordés de telle façon que sans leur double, ils sonnent faux. La musique indonésienne me fait beaucoup évoluer, elle n’est pas sur la gamme occidentale, elle comporte plusieurs variations, pentatonique et septatonique. On peut trouver plein de variations avec cinq notes. J’évolue beaucoup à essayer d’appliquer cette gamme indonésienne à mes instruments, comme la guitare et le saxophone.

J’aime aussi beaucoup la musique africaine et asiatique.

MC: On vous décrit comme un chaman parce que vous semblez entrer en transe sur scène, que pensez-vous de cet attribut ?

AdD: Un chaman est quelqu’un qui choisit différents états de l’existence. Dans notre culture moderne les artistes sont les chamans. Pour ma part, j’utilise les outils de la musique ou de l’expression pour atteindre l’état extatique, pour être ouvert à l’influence cosmique. C’est une voie pour faire voyager ma conscience, vers la libération, la non inhibition. En performance, je cherche une résonance avec le public.

MC: Avez-vous un regard politique et philosophique sur le monde ?

AdD: Il me semble que l’humanité repose sur l’ouverture à la conscience du monde et des choses. Nous avons besoin d’être plus ou moins ouverts aux autres nations et cultures du monde pour nous identifier. La vie, ce n’est pas être Français, Américain, Japonais ou autre, c’est l’expérience d’être humain. C’est une question de conscience individuelle, ce n’est pas géographique. La modernité nous offre davantage de possibilités de nous ouvrir au monde et pourtant il y a des freins. Les conflits actuels sont là où il y a une résistance à cette idée d’ouverture.

About the Author

Journaliste freelance, Marguerite écrit dans le Poulailler par envie de prolonger les émotions d’un spectacle, d’un concert, d’une expo ou de ses rencontres avec les artistes. Elle aime observer les aventures de la création et recueillir les confidences de ceux qui les portent avec engagement. Le spectacle vivant est un des derniers endroits où l’on partage une expérience collective.

 

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