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Il m’a fallu du temps pour écrire à propos de Ephémère… J’ai laissé infuser en moi les émotions ressenties. J’ai rencontré les trois jeunes comédiens amateurs talentueux et très investis du Théâtre de l’Aurore (Guillaume Le Duff, Florent Le Doaré et Antoine Rio-Cabello) qui ont écrit et créé le spectacle avec l’aide du metteur en scène Geoffroy Matthieu. J’ai réalisé à sa juste mesure le travail accompli, la patiente construction des personnages à partir d’improvisations, l’éclosion du texte, la recherche de justesse dans le jeu, au-delà des barrières intérieures, au-delà du problème de l’identification du comédien aux personnages qu’il incarne sur scène.

Au soir du spectacle, j’étais plutôt en proie au malaise dans cette salle du Mac Orlan. Le malaise au théâtre n’est pas un sentiment éphémère : il y a ce qu’on ressent pendant le spectacle, en soi-même et émanant du bruissement de la salle, puis il y a l’immédiatement-après, lorsqu’on confronte son ressenti avec ses voisins, et enfin, il y a ce qui s’accroche à soi dans les heures qui suivent, ce qui nous travaille à l’intérieur, sans que l’on puisse toutefois saisir l’essence du trouble.

Immédiatement, ce que j’ai pu partager à la sortie, sans aucun tiraillement, c’est le ressenti de la beauté, de l’esthétique scénique, corporelle et sonore qui se dégage du plateau. Pour moi, ce sentiment ne peut naître que d’une grande cohérence entre le propos et la forme, quand l’écrin où s’épanouit le texte traduit son sens profond à travers sons, formes, mouvements et couleurs. Ainsi, pour ce spectacle dont la thématique principale est la solitude, les ambiances lumineuses tamisées, la lenteur ou la précision parfois « cartoonesque » des gestes de l’animateur radio, la bande son très « années 50 à New York », le décor de vieilles radios du temps où il était extraordinaire d’entendre des voix sortir d’un poste, suggèrent le temps suspendu, étiré, allongé. Le temps des solitudes nocturnes qui invitent à écouter Radio Ephémère.

Car la solitude est ici évoquée à travers des personnages qui interviennent à la radio, la nuit, comme dans l’émission « Allô Macha » de Macha Béranger sur France Inter, qui a nourri l’inspiration de la troupe. Premier élément de mon malaise, ressentir la solitude de ces êtres, qui est si forte qu’il ne leur est possible d’en sortir que dans l’anonymat de la radio. Sortir de sa solitude en restant anonyme, voilà une prise de risque minime qui permet enfin de dévoiler sa fragilité au monde, de faire peut-être ses premiers pas vers l’assomption. Pour le spectateur qui connaît ou a connu la force d’une relation, amicale ou amoureuse, où la confiance autorise les échanges intimes, il y a possiblement une grande tristesse à imaginer que d’autres n’y ont pas accès, ou à penser qu’une telle relation s’est achevée pour lui-même, ou enfin à raviver la douleur de sa propre incapacité à atteindre cette qualité de relation.

Deuxième thématique abordée sur les ondes de Radio Ephémère, la relation amoureuse. L’animateur Louis, « spécialiste » de l’amour, encourage les auditeurs à raconter leurs expériences, vécues ou rêvées. On aborde ainsi le mythe amoureux, du conte de fées à la désillusion en passant par les déviances comme la possession perverse, traduite par l’attitude de l’auditeur Seb, dont la conception malsaine de la relation aux femmes se cristallise sur le corps malmené d’un mannequin en plastique.

C’est l’autre composante de mon malaise : l’image de la femme, donnée à voir dans ce spectacle comme source de souffrance et objet de la possession masculine. Certes, les relations homme/femme sont abordées ici à travers des personnages très névrosés, relevant pour certains de la psychiatrie… et si je sais faire la part des choses, cela reste pour autant assez difficile à regarder et à ressentir (heureusement). J’ai l’ambition, en tant que spectatrice, de trouver dans un spectacle matière à m’éclairer, au sens de « mener à la lumière ». Quel bien cela fait-il de se confronter à la noirceur si l’on en reste là? Dans ce spectacle, les personnages n’ont aucune chance de progrès et force est de constater que cela me met en colère. On pourrait m’opposer que la connaissance du mal renforce la perception du bien. J’entends, mais j’ai toujours préféré la preuve par l’exemple à la preuve par le contraire.

Troisième thématique abordée, et pas des moindres, le corps. J’ai été convaincue par l’aisance dans l’espace des trois comédiens, dont le travail d’apprentissage scénique au cours du temps est passé par le ressenti corporel, dont peut naître la justesse d’action sur scène. Ici, pas de gêne, pas de fausse intention. Fluidité. Cela transpire dans cette belle scène chorégraphiée mais très réaliste de corps-à-corps violent, qui constitue l’une des deux seules rencontres entre les personnages. Le décor est investi pleinement, cela sonne juste et participe pour beaucoup à l’esthétique décrite plus avant. Autre exemple d’une utilisation corporelle réussie, la gamme de voix et d’intonations développée par l’animateur radio aux multiples personnalités. Le texte n’est pas en reste pour aborder cette thématique. Ainsi, l’animatrice Tasha encourage son auditeur, Nicolas, à assumer le vocabulaire corporel associé à la sexualité afin de pouvoir en jouir pleinement. Mettre des mots sur des ressentis, des émotions, des sentiments, c’est déjà leur accorder la liberté d’exister, c’est faire un pas vers la reconnaissance de son propre corps, de la vie intérieure qui anime tout un chacun.

Malgré un texte plutôt intelligemment écrit pour la scène et très poétique, j’en ai parfois regretté la superficialité, qui a finalement à mes yeux confiné le spectacle dans une dimension de polar un peu réductrice.  Ainsi, explorer plus avant les liens entre la solitude et l’estime de soi, aurait pu aider le spectateur à ouvrir son horizon sur lui-même. Mais, foin de ce que ce spectacle n’est pas! De l’avis même des comédiens, Ephémère est un conte onirique; le caractère d’irréalité, d’étrangeté, de poésie du spectacle validera cette assertion aux yeux d’une partie du public. Une autre partie regrettera peut-être que ce récit n’ait pas fouillé plus avant de si riches thématiques.

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One Comment

  1. rmèï / 25 janvier 2015 at 16 h 46 /Répondre

    Quelque part il me semble que le malaise que vous décrivez peut être vu positivement, loin de moi l’idée de me réjouir de votre souffrance mais justement, le fait que vous vous retrouviez chargée de ce fardeau, tiraillée pendant quelques temps par ce sentiment inconfortable, vous oblige à y réfléchir, et peut être, dans le meilleur des cas, à identifier par vous même les causes de telles situations, et tenter d’y remédier.
     » Dans ce spectacle, les personnages n’ont aucune chance de progrès […]  » : exactement, et c’est ce qui peut révolter, attrister …
    Mais soyons honnêtes, si un événement quelconque les avait « sauvés » de cette misère sociale, nous serions tous restés sur le sentiment final de « tout est bien qui finit bien »
    Là, le sauveur ne vient pas, et c’est horrible, mais il FAUT, un sauveur, nous sommes ainsi faits, alors on ressasse, on cogite et on se rends compte que, peut être, c’est à nous de l’incarner, pas en changeant la pièce, mais la réalité …
    Car dans la réalité, le sauveur ne viens jamais, car il regarde le spectacle en ignorant qu’il est le premier rôle, en espérant, passivement, que tout s’arrange, qu’une solutions soit trouvée …
    Par qui ?

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